lundi 20 septembre 2010

La symbolique érotique en Chine : de la vie à l'immortalité

Dans ce blog, nous évoquons les symboles de " la fleur ", de " la pluie ", de " la pierre ", du " nuage ".  Ces symboles sont utilisés en Chine pour coder les pratiques sexuelles : ainsi l'expression "les jeux de la pluie et des nuages".

Ou bien pour les imager. Par exemple, ci-contre : " La jeune fille joue de la flute de jade" : allusion érotique de la fellation. Le prunier en fleur représente l'amant. Et le ruisseau qui coule la semence "

Mais notre approche insiste sur la dimension sociale, communautaire donnée à ces symboles dans la culture chinoise traditionnelle.

Par exemple, la " pluie " est le symbole de l'eau comme énergie nourrissante des plantes. Et par ses conséquences, la "pluie " est également le symbole de la Loi sociale. Sans eau, pas de nourriture, pas de société civilisée : les personnes s'entretuent pour le peu de nourriture qui reste. Mais, trop d'eau, c'est également la catastrophe. Il n'y a de société heureuse qu'avec la régularité. Ainsi, un conte chinois raconte les conséquences des comportements de  " débauche " de quatre Rois dragon qui ignorent leurs obligations sociales.


 Conte : "Plusieurs dragons ne s'occupent pas bien des eaux"

"Quand ils s'ennuyaient, les rois dragons sortaient de leur palais et faisaient des tours sur les nuages. Craignant que la poussière du monde ne salisse leurs habits, ils faisaient tomber des pluies torrentielles pour laver la terre, tant et si bien que les rivières débordaient, que les champs étaient inondés, les terres rendues stériles, les maisons détruites et beaucoup d'êtres humains et d'animaux étaient décimés. Quelle misère dans le monde ! 

Quelquefois, pendant deux ans, pas un roi dragon ne sortait de la mer alors sans pluie ni récolte, nombreux étaient les gens qui mourraient de faim".  


Régler la nature, régler le plaisir charnel

Ainsi, dans " les jeux de la pluie et des nuages ", " la pluie " n'est pas seulement un signe codé du liquide séminal ou de la sécrétion vaginale, c'est une invitation à considérer les pratiques sexuelles selon la Loi sociale : perpétuer la société en donnant  vie à des enfants,, mais aussi en respectant les règles et la nature.

" L'art de la chambre à coucher constitue la somme des émotions humaines, il renferme la Voie Suprême. Aussi les sages de l'antiquité ont-ils réglés les plaisirs extérieurs afin de réfréner les passions intérieures. Celui qui sait régler son plaisir charnel se sentira en paix et atteindra un grand âge. Les anciens ont donc étudié et commenté le plaisir sexuel afin de régler par là toutes les affaires humaines et de se conformer à la nature des choses et des êtres. "
Commentaire de conclusion d'une  liste de huit ouvrages comprenant en tout 191 rouleaux manuscrits traitant de "L'art de la chambre à coucher" et datant des Han antérieurs (206 avant J.C/8 après J.C).

Pour les lettrés chinois du temps jadis, la sexualité, était perçue comme l'une des activités humaines essentielles permettant le plein épanouissement de l'individu dans la société.

Si les Bouddhistes pouvaient émettre quelques restrictions à cette conception très naturiste de la vie, Taoïstes et Confucianistes étaient, malgré leurs oppositions, en accord avec ce principe. Les Confucianistes considéraient, en effet, que l'harmonie familiale, donc du couple, était à la base de l'harmonie de l'empire.
De plus la procréation d'une descendance permettant d'entretenir, au travers des multiples générations, le culte des ancêtres, fondement du rituel (Li), la sexualité ne pouvait que trouver une place importante dans la hiérarchie des valeurs privées sinon publiques.

Le bon équilibre physique, énergétique, psychique et magique de l'empereur lui-même était lié à l'accomplissement de sa sexualité. Certains des plus grands empereurs entretenaient à cet effet plus de huit cent concubines et une immense partie des palais leur était réservée.

L'empereur se devait, également, de remplir ses devoirs avec la prestance liée à sa fonction et disposait donc de multiples conseillers, de multiples ouvrages, de multiples pratiques et de multiples potions pour conserver son rang de " Fils du Ciel " ou de " Dragon Jaune".



Étant censé donner l'exemple jusqu'en bas de la pyramide immense que constituait depuis toujours le peuple chinois, ce système se reproduisait, à moindre échelle dans toutes les hiérarchies sociales. Un " homme d'une seule épouse " était alors considéré comme un indigent ou un marginal.

De leur coté, en réaction à ce système, les femmes chinoises furent probablement les premières à constituer des sociétés, presque des syndicats, dans lesquelles elles revendiquaient le droit d'user de leur corps en dehors d'un harem.

Ces sociétés de femmes, souvent très puissantes, bien que fonctionnant sous le mode des sociétés secrètes, possédaient un statut presque officiel. Par conséquence logique l'homosexualité féminine des " sœurs-amies" ainsi que la contraception médicale étaient considérées comme un simple fait social.

Ce phénomène des sociétés féminines chinoises, proche du mythe des amazones, puisque bon nombre des adeptes pratiquaient à haut niveau les Arts Martiaux, trouva une matérialisation caractéristique jusque dans la création d'une forme d'écriture secrète le " Nu Shu " (littéralement écrit de femme). Cette écriture secrète ne fut découverte qu'en 1950 dans le Hunan et ne commença à être décryptée qu'en 1982.

Parallèlement, la brèche ayant été largement ouverte par ces sociétés, l'homosexualité masculine ne suscitait que très peu d'opprobre jusque dans les milieux religieux où elle avait justement tendance à se développer et à alimenter de multiples commentaires plus ou moins compatissants.

La société chinoise traditionnelle demeurait donc très libérale en ce qui est de la sexualité sous ses aspects les plus divers à l'exception d'un interdit majeur considéré comme un " crime inhumain " sanctionné par la peine de mort : l'inceste.

Donc, si on prend comme référence la Chine impériale d'avant la conquête mandchoue et à plus forte raison la Chine antique on se rend rapidement compte que la sexualité faisait partie intégrante de la société, de la littérature, de l'art pictographique, de la médecine. et même, de la philosophie classique puisqu'elle participait de l'art de la longue vie et de la recherche de l'immortalité.

Lorsque la sexualité est naturellement considérée, ce qui était le cas en Chine, comme un moyen d'épanouissement personnel elle entre tout aussi naturellement dans le cadre des " pratiques de santé " qualifiées d' " Art d'entretien de la vie " (Yangsheng) susceptibles de prolonger l'existence. De tous temps, sauf aux périodes répressives, les médecins chinois, chargés de la santé de leurs patients, se sont donc attachés à formuler de judicieux conseils sur ce fameux " Art de la chambre à coucher ".

Pour les Taoïstes, la sexualité permettait de prolonger l'existence et était l'une des portes vers l'immortalité. Ils mirent au point de multiples méthodes destinées à conserver, entretenir, favoriser, accroître le " principe vital" lors de relations sexuelles liées à l'alchimie interne (NeiDan). Dans cette optique l'homme et la femme possédaient leurs propres méthodes ainsi qu'un important éventail technique dont on a malheureusement conservé la vision restrictive et limitée de rétention du sperme et de l'éjaculation.

Dans ces "Jeux des Nuages et de la Pluie"(Yun Yu Shi ) l'adepte tentait, par le moyen sexuel, de reproduire avec un, ou une partenaire les phénomènes macrocosmiques de la création et de la mutation. Une particularité essentielle de ces pratiques est qu'elle ne concernaient pas, comme on tente encore de le faire croire, uniquement les hommes qui auraient, alors, considéré leur(s) partenaires féminines comme de simples moyens d'aboutir à leurs fins.

La sexualité des femmes, un sujet dificile

Les textes concernant la sexualité féminine dans cette recherche de l'accomplissement, s'ils sont nombreux, n'ont malheureusement pas suscité, jusqu'à une époque très récente, le même intérêt pour les sinologues que ceux concernant la sexualité masculine.


Lorsqu'il s'agissait de pratiques concernant l'homme on les qualifiait de pratiques taoïstes de longue vie tandis que celles destinées aux femmes se retrouvaient le plus souvent classées dans les curiosités plus ou moins pornographiques.Par exemple, l'image ci-dessus montre comment une femme - une servante - prépare une autre femme à faire l'amour. Est-elle une " servante  coquine " ou bien apporte-t-elle l'assistance sécurisante d'une "grande Soeur " ?

Voici un exemple significatif de la volonté d'ignorer la dimension féminine de la sexualité. Les fouilles du tombeau de Mawangdui, réalisées en 1973, qui ont livré un très important matériel archéologique, attestent que la Marquise de Dai, inhumée en 194 avant notre ère, avait souhaité être accompagnée de ses ouvrages favoris. Parmi ceux-ci on retrouve plusieurs versions du Yi Jing (Livre des mutations), un traité de médecine des méridiens (Maishu), un traité de gymnastique (Yinshu), un traité de pharmaceutique (Wanwu), un traité sur la morpho-physionmie des chevaux (Maxingwu), un traité sur les nuages (Yunwu) et un important traité sur l'art de la chambre à coucher (Fang Neiwu) qualifié par les archéologues chinois d'" Art vénérien " (Xingjaode).

Si presque tous les autres ouvrages ont été traduits et mis à la disposition des chercheurs chinois et occidentaux, ce dernier ouvrage demeure bien sagement dans les cartons du musée local. On sait donc que cette marquise pratiquait la diététique, la gymnastique taoïste, étudiait le Yijing et s'intéressait aux chevaux et aux nuages, était très portée sur l'art poétique, appréciait les objets de valeur. On ne sait rien par contre de son intérêt pour la sexualité !

Les "manuels de sexe"

Plusieurs traités ou "manuels de sexe", datant pour la plupart de l'époque des Han antérieurs (206 av. J.C. / 8 apr. J.C.) n'ont cessés d'être publiés jusqu'à la dynastie Xing (1644).De fait, la plupart qui nous sont parvenus datent de la dynastie Sui (581-618) et continuent à être considérés comme des classiques :
  • "Classique des Méthodes secrètes de la Fille de Candeur " (Sou Nu Pi Tao Jing),  
  • " Recettes de la Fille de candeur " (Sou Nu Fang ),
  • " Prescriptions secrètes pour la chambre à coucher " (Yu Fang Pi Jiua),
  • " Principes pour nourrir la vie "(Yang Sheng Yao Ki)...

De cette période datent les définitions poétiques des fameuses postures. Le Maître Tong Xuan en définit une trentaine :
" Union étroite ", " Dévidage de la soie "," le Dragon qui s'enroule ", " le poisson aux quatre yeux ", " le couple d'hirondelles ", " l'Union du martin pécheur ", " les canards mandarins ", " les papillons voltigeant ", " les canards renversés ", " le pin aux branches basses ", " les bambous près de l'autel ", " la danse des deux phénix ", " le phénix et son poussin ", " le vol des mouettes ", " la gambade des chevaux sauvages ", " le coursier au galop ", " le cheval qui piaffe ", " le tigre blanc qui bondit", " la cigale collée à l'arbre ", " chat et souris dans le même trou ". 


Par la suite un chapitre de sexologie (Fang Zhong Che Fa) (Traité de la Chambre à coucher) complétera l'immense majorité des encyclopédies médicales.

Depuis la fin de l'époque Tang (618-907) et jusqu'à la fin de l'époque Ming (1368-1644) ces divers traités obéiront à une structure commune et comporteront :

1/ des remarques préliminaires sur la signification cosmique de l'acte sexuel. Au niveau du microcosme humain celui-ci représente l'union du Ciel (Yang) et de la Terre (Yin) au travers de la montée des nuages (Yun) et de la descente de la pluie (Yu). Cette union cosmique ou sexuelle représente donc l'unité dans l'harmonie des contraires.

2/ des considérations sur le mécanisme et l'importance des sécrétions liées à l'acte sexuel. Qu'il s'agisse de l'homme ou de la femme elles sont issues de l'énergie du souffle (Qi ou Ki) qui se transforme en essence (Jing ou Tching) laquelle produit l'esprit (Shen). Elles constituent donc l'essence vitale profonde du corps mais influent profondément sur le psychisme. De la bonne ou de la mauvaise utilisation de cette essence vitale dépend non seulement le bien-être personnel et du couple mais également la santé, la vitalité et la capacité de prolonger le vie.

Cela ne veut pas dire, suivant cette tradition fortement teintée de taoïsme, qu'il ne peut y avoir de longévité sans chasteté complète. Au contraire, celui ou celle qui sait utiliser à bon escient cette essence vitale non seulement n'en souffre pas mais en tire avantage. Il est souvent rappelé que l'Empereur Jaune eut deux mille cent femmes et devint immortel alors que de nombreux gens du commun n'ont qu'une seule femme et se détruisent la vie. Il est donc conseillé d'éviter l'acte sexuel dans diverses occasions...lorsqu'on est fatigué, lorsqu'on a trop mangé ou trop bu, lorsqu'on est en colère ou abattu, lorsqu'on a des soucis, lorsqu'il y a de l'orage, de la tempête, du brouillard intense, des perturbations climatiques liées aux périodes lunaires ou aux taches solaires, à certaines périodes de l'année lorsqu'il fait trop chaud, trop froid, trop sec ou trop humide...etc.

3/ des descriptions sur les manœuvres préliminaires et les différentes positions du coït à proprement parler. La satisfaction personnelle et celle de la ou du partenaire est le but recherché. Ces descriptions s'accompagnent de nombreux conseils avisés généralement délivrés sous la forme d'exemples poétiques.

4/ des explications plus ou moins succinctes sur l'aspect thérapeutique de l'acte sexuel comportant ou non des pratiques d'alchimie interne, basées sur la rétention, destinées à " faire revenir l'essence au cerveau ". Ge Hung (Ko Hong) 281-361), un médecin taoïste, auteur du Baopouzi (Pao Pou Tseu) " l'Art de la chambre à coucher" est souvent cité : l'acte sexuel, s'il ne peut à lui seul amener à l'immortalité, est une excellente panacée contre la plupart des maladies et la déchéance physique.

5/ diverses recettes de pharmacopée liées à la sexualité : recettes fortifiantes, recettes aphrodisiaques, recettes pour les jeunes mariées et les femmes enceintes, techniques prophylactiques, formules contraceptives et abortives, adjuvants sexuels...etc
Ci-contre un "Charme" (Fulu) sous la forme d'un papier ou d'un tissu à  brûler puis à dissoudre et à faire boire à l'amant fatigué ...

6/ A partir de la fin de l'époque Song (960 1279)apparaissent, enfin, divers tabous sexuels généralement limités à l'inceste, à la pédophilie et à la zoophilie.

Le saphisme est traité sans rigorisme puisque le Yin peut être dépensé sans trop de risque.De même pour la plupart de ces ouvrages, l'homosexualité masculine n'est pas décriée pour la simple raison que la perte de yang entre deux partenaires masculins demeure minime.

Quelques ouvrages, plus rares, traitent de perversions sexuelles comme le masochisme et le sadisme en se gardant bien, par ailleurs,d'apporter une considération morale et en se bornant à relater les dangers encourus lorsque les choses vont trop loin.

Destinés aux classes favorisées, ces encyclopédies médicales avaient une grande liberté de propos. De leur coté, les paysans disposaient d'un almanach illustré, édité sous la responsabilité de l'empereur, qui ne manquait pas de promulguer divers conseils qui étaient également très crus.

Mais aujourd'hui ...

La Chine que nous connaissons la mieux en Occident est une Chine contemporaine officiellement prude. C'est le résultat de trois siècles d'interdits, de restrictions, de contraintes, de pressions et de violences.

Depuis 1644 et jusqu'en 1912, la sexualité fut soumise à la domination Qing (Tsing) de l'ethnie Mandchoue puis des puissances occidentales particulièrement répressives en ce qui concerne une vision importée et souvent religieuse de la morale.

De 1912 à 1949 elle subit la férule de multiples seigneurs de la guerre, souvent des intégristes de tous poils, de conquérants brutaux et étrangers dont le moindre mal était le viol de masse et la prostitution forcée. Les Japonais ne furent pas les derniers à se comporter en brutes sauvages.

Depuis 1949 le régime politique au pouvoir n'incite pas à "la libération sexuelle des masses populaires laborieuses" ...

Les Chinois de Jadis considéraient comme un art majeur, car développant la puissance de vie " l'Art de Chambre à coucher ". La répression et l'humiliation des femmes transforma le naturel en interdit et le louable en dés avouable. L'érotisme devient pornographie qui circule sous le manteau .

Les anciennes pratiques impériales de nature magique réapparaissent dans les classes dirigeantes. La jeunesse des femmes était réputée donner l'immortalité. Maintenant, un homme riche, en plus de sa femme légitime, entretient une ou plusieurs maîtresses plus jeunes. Ou bien, l'homme riche reste célibataire afin de recruter régulièrement une maîtresse plus jeune que la précédente. Beaucoup de femmes de 30-40 ans se désespèrent : "nous sommes trop vieilles pour intéresser un homme".

Plus classiquement, le nombre de femmes mesure le pouvoir. Récemment, après une dénonciation pour corruption, Xu Qiyao, dirigeant du Bureau de Construction de la province du Jiangs aurait confessé avoir plus de 100 maitresses ! Les pots de vins servaient à loger, nourrir et habiller ses maîtresses.

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