lundi 20 septembre 2010

Jade, Canard, Fleur, Nuage .. : codes de l'érotisme chinois

Le codage érotique chinois, entre censure et plaisir subtil

Depuis l'antiquité, les artistes chinois se sont attachés à créer et à reproduire de très nombreux symboles picturaux. Concernant la sexualité, aux époques où celle-ci fut victime de la censure, ce symbolisme fut utilisé pour évoquer l'interdit.

Ce qui ne pouvait être écrit ou dit continua à être transmis d'une manière très subtile échappant aux censeurs qui, la plupart du temps, étaient des occupants, donc considérés comme des barbares.

Ce symbolisme graphique se base, notamment, sur des homophones...le nom d'une fleur peut, par exemple la pivoine, représenter un tout autre caractère chinois, lequel n'est pas sans signification.

Il s'agit, en quelque sorte, d'un code connu des seuls initiés capable de décrypter un message plus ou moins subtil et qui échappe au profane et plus encore à l'occidental.

Un simple vase décoratif peut tout à fait se transformer, pour celui qui connaît les symboles employés, en un message très cru...sinon pornographique dans le sens occidental du terme. Généralement un motif décoratif comporte plusieurs éléments constitutifs permettant de construire une définition précise.

Si une pivoine seule représente simplement la féminité, une pivoine jaune (Wang Hua Nu) (jeune fille vierge) butinée par un papillon (jeune homme libertin) est une invite très directe.

Si la pivoine est en bouton la jeune fille souhaite simplement être courtisée.
Si la pivoine est ouverte (cœur de fleur = xin hua = sexe féminin) c'est qu'elle souhaite que cela aboutisse rapidement !
Le message se lit " attirer le papillon (Hu Die : jeune homme avenant et amoureux) avec le cœur de fleur ".

Un peu de vocabulaire  !

"La jeune fille joue de la flute de jade" : Allusion érotique de la fellation. Le prunier en fleur représente l'amant. Et le ruisseau qui coule la semence.

Mais il est intéressant d'identifier les univers empruntés pour le codage.

Il y a l'univers de la roche précieuse, le jade, roche associée à un travail de minutie par des artisans porteurs d'un savoir ancestral. Le jade évoque à la fois ce qui est précieux et travaillé avec soin.
  • " Jouer avec du jade " (Nong Yu) : faire l'amour ;
  • " Manipuler du jade " (Pin Yu) : cunnilingus ;
  • " Tige de jade " (Jeou Yu) : pénis ;
  • " Bouton de jade " (Pao Yu) : clitoris ;
  • " Perles de jade " (Changzu Yu) : sécrétions ;
  • " Porte de jade " (Men Yu) : vagin ;
  • " Flute de jade " (Xiao Yu) : fellation ;  
     Il y a l'univers des animaux de consommation  courante - poule, canard, anguille - qui servent à désigner des usages rapides à portée de main.
    • "Poule (Jinu)"  : désigne la prostituée
    • "Canard (Yadze) :  désigne le gigolo
    • " Anguille (Shan)" : désigne le pénis masculin ;
     Par rapport aux évocations littéraires que nous verrons après, ces mots désignent une peau brutalement dénudée, un corps réduit à la consommation, tout comme la peau et la chair d'une volaille qui vient d'être plumée et vidée de ses entrailles. Dans cette vue, plus d'atours gracieux, plus de charme, plus de magie.Plus d érotisme !


      La couleur "jaune" désigne tout ce qui a trait à la débauche, par allusion aux anciennes débauches impériales : seul l'Empereur avait le droit de porter des habits de couleur "jaune" :
      • " Fille fleur jaune " (Wang Hua Nu) est une vierge délurée ;
      • " Une anguille jaune" (Wang Shan) désigne un homosexuel ; 
      • " Livres jaunes " (Wang Shu) : littérature érotique ;
      • "Films jaunes" (Wang Ying) : films érotiques ;
      Les couleurs des fleurs désignent les différents statuts de la femme : de la retenue à l'excitation intense.
      •  "Fleurs de prunier dans un vase d'or" (Yin Ping Mei) : invitation à l'acte sexuel ou au marivaudage car titre d'un roman considéré comme érotique;
      •  " Cœur de fleur" (Xin Hua) (fleur ouverte, notamment pivoine rouge ou jaune) : sexe féminin
      • " Lotus rouge (Hong He) : sexe féminin
      • "Rose noire" (Qiang Wei) : poils pubiens ; 
      • " Filles-roses " ( Hong Niang) : prostituées ;
      • "Parfum de miel " (abeilles et fleurs) (Xiang Mi) : jouir;
      • Chun Hua (fleurs de printemps) :  films érotiques ;
      Par homophonie Ai Yang Hua signifie les " Fleurs (Hua) pour éduquer (Yang) l'amour (Ai) "
      Le terme " Ai Yang Hua " (Dessins de Ai Yang) désigna donc pour les lettrés, et pendant près de deux millénaires, les peintures et estampes érotiques.
      Encore de nos jours on désigne du terme " fleuri " (Hua) les lieux de plaisir... Un " bateau fleuri ", une " maison fleurie ", une " chambre fleurie " signifient tout simplement un lupanar flottant, un lupanar terrestre et une chambre de passe.


      Dans le même esprit des " fleurs dans un nuage de fumée " (Yan Hua Zhai) désigne un lieu apprécié des marins où se cumulent jeu, boisson et sexe.

      Le printemps, saison de la poussée vigoureuse des feuilles et des fleurs, est naturellement convoqué.
      • "Printemps (Chun)" " Images de printemps " (Chun Hua) : images érotiques ;
      • " Palais du printemps " (Chun Gong) : accessoires et objets érotiques par extension film érotique.
       Comme en Europe, le rouge est une couleur évoquant le sexe.
        • "Lanterne rouge" (Hong Deng) : lupanar ;
        • Lanterne rouge et papillon : club très masculin ;
        Dans la Chine antique, homosexualité et saphisme étaient acceptés, puisque tous ne pouvaient pas accéder à une relation de couple : les pauvres, les moines, les femmes dépendantes de leur famille, les femmes dans les "harems".Le vocabulaire est celui de la chasse, de la course, de la précision dans l'attaque.
        •  "Martin pêcheur tenant dans son bec un poisson" : relation homosexuelle ;
        • " Chasser le lièvre " rechercher un partenaire masculin ;
        • "Lièvre femelle "(Yin Tu) : saphisme ;
        Une référence, très littéraire, à l'homosexualité masculine trouve une expression très imagés dans le fait de " couper la manche fleurie ".En effet, un jeune prince, cité dans le " Livre des Odes " ou " Canon des Poèmes " (Shi Jing), un des grands classiques, préféra trancher la manche de sa veste de brocard sur laquelle son compagnon s'était assoupi que de le réveiller.

        Plus populairement une " veste fleurie " (Hua Shang) désignera donc un homosexuel quelque peu fortuné. Dans les Arts Martiaux il existe une injure particulièrement redoutable qualifiant de " Mains fleuries " (Hua Shou) les pratiques, et les pratiquants, un peu trop maniérés.
        " Mains fleuries et pieds qui tricotent - littéralement fardés - " (Hua Shou Sao Tui) demeurent, dans ce domaine, une ultime insulte.

        Avec un certain sens de l'humour les vieux Cantonnais désignent, entre-eux, les styles de " Kung Fu " du Nord, très démonstratifs, comme des " disputes de coiffeurs pour dames - ou ciseaux fleuris"

        Les positions érotiques sont décrites par référence à des figures à la fois végétales et animales, littéraires et picturales. Ici, plus de chair crue, mais magie des formes, des couleurs, des associations et des compositions subtiles.
        • "Lotus (He) et poisson (Yu) " comme une jeune fille et un jeune homme;
        • " Manger des cerises sous l'arbre "(Ying Tao Shu): faire l'amour ;
        • "Canards mandarins" (Yuan Yang) : l'une des trente positions classique ; 
        • "Licorne (Qin Lin)" l'une des trente positions classique;
        • "Martin pêcheur (Fei Cui)" : l'une des trente positions classiques ;
        • " Canards mandarins dans la rosée " : couple d'amants non mariés ; 
        • "Pies (Xi) avec bambou (zhu) et prunier" (Mei) : Homme (bambou) et femme (prunier) prenant du plaisir ensemble (deux pies) ;
         Enfin, vient le vocabulaire de l'Eau : brouillard, nuage, pluie
        • " Brouillard de nuage "(Yun Wu) : petit corsage ou soutien-gorge avenant ;
        • "Nuages et pluie" (Yun Yu) : faire l'amour ;
        • " Jeux des nuages et de la pluie " (Yun Yu Shi) : accouplement ;
        Les nuages sont de fait de vapeur d'eau. Des lacs et des étangs, l'eau monte  vers la cime des montagnes. L'Eau est force de vie, croissance des plantes et des fleurs.

        L'innovation taoïste de l'immortalité par le sexe

        Dans la pratique taoiste de l'acte sexuel, il est recommandé que l'homme retienne son sperme, sa "pluie". En Occident, on a surtout retenu le principe de la rétention. En fait, il ne s'agit pas tant de rétention que de modification de la sensation érotique.

        Il s'agit pour l'homme de laisser monter en lui l'Eau, le Yin, qui d'abord secrétions vaginales - perles de jade - va se transformer en nuages. Les taoïstes inventent pour l'homme un nouveau type d'orgasme qui donnerait un plus d' énergie à l'homme. Cet orgasme est conditionné par l'accompagnement par le corps masculin des vibrations répétées et répétées de l'orgasme féminin.

        Immortalité du plaisir féminin dit-on ! Les Grecs étaient effrayés par l'insatiable jouissance des femmes ! Encore ! Encore !  Lacan en fit le titre d'un séminaire consacré à la jouissance féminine.

        Les Grecs opposait à ce débordement féminin la "concision" du rapport entre deux hommes. Les taoistes ont été plus malins : inventer une technologie où l'homme récupère l'énergie féminine comme le moulin exploite l'énergie du flux de la rivière.

        Littérature érotique ou littérature poétique ?

        La tradition littéraire chinoise classique ou populaire d'avant les multiples interdits liés aux diverses périodes répressives caractérisant la période contemporaine, de 1644 à nos jours, ne pouvait se concevoir sans qu'il fut question de sexualité, donc d'érotisme. Il eut même été inconvenant de décrire la vie, les mœurs, les habitudes, fut-ce dans les relations historiques, sans traiter de ce sujet jugé essentiel à tout équilibre humain. Ce que l'on qualifie donc aujourd'hui de littérature érotique est donc simplement de la littérature.

        Le " Canon des Poèmes " (Shi Jing), l'un des plus grands classiques de la Chine antique donne amplement l'exemple en relatant de multiples odes poétiques dont l'érotisme n'est pas exclu.
        Cependant le goût de la métaphore amoureuse ne permet pas toujours à un non initié, et encore moins à un occidental, d'apprécier à leur juste valeur ces poèmes antiques. Cela les rend donc très difficilement traduisibles car il conviendrait alors d'utiliser un langage autrement plus cru que celui de l'original.
        Prenons quelques exemples simples dans le huitième chant du septième livre une jeune femme est censée presser son mari d'aller à la chasse et lui déclare
        " Le jour pointe, levez-vous seigneur et voyez si la nuit touche à son terme couvrant l'herbe de rosée. Courez bravement et décochez votre flèche. Si elle atteint le canard je vous l'assaisonnerai convenablement et nous boirons ensemble. Voici deux luth, kin et Che, tout respire la paix et la concorde. Quand je connaîtrai ceux dont vous cherchez l'amitié, si vous le souhaitez, je leur donnerai les pierres de prix suspendues à ma ceinture... "

        Le vocabulaire semble innocent pour le censeur mais la jeune épousée se livre à une description et à quelques propositions dont le décodage est très érotique.

        Dans le même ouvrage une jeune concubine tout à la joie de retrouver son amant déclare ingénument :
        " Mon seigneur est content, de la main gauche il tient sa flûte et de la droite il me fait signe pour que je l'invite dans ma petite maison.. Oh quelle joie ! "
        On se doute rapidement que les termes dissimulent autre chose qu'une simple scène publique de retrouvailles.


        L'un des premiers traducteurs occidentaux de cette œuvre, le révèrent père Couvreur de la Compagnie de Jésus, ne s'y trompait pas et ajoutait au français quelques fins commentaires en latin…

        De cette tradition poétique et littéraire proviennent les romans intimistes et les romans épiques les plus connus et les plus réputés qui étaient émaillés de scènes érotiques et de multiples conseils sur l' " Art de la chambre à coucher ".

        Parmi ces romans, qui furent très populaires, on peut citer " L'histoire d'une femme très belle " (Mei Jen Fou) de Seu Ma Xiang Jou (117 Av JC) récit poétique d'une courtisane pendant la dynastie Han ; " La cavalière noire " ("Er Nu Ying Xiong xuan Juan ", histoire d'une héroïne très libérée et férue d'Arts Martiaux qui recherche son égal tant dans les arts du combat que dans l'art de l'amour (XIIeme siècle) ; " L'histoire non officielle du Jardin de Bambous " relatant l'usage des anciens manuels de la chambre à coucher ; " Ombres de fleurs sur l'écran de voile " (Ko Lien Hoa Ying )

        Les plus connus, par ailleurs traduits en français, demeurent le " Jing Ping Mei " ou " Fleurs de pruniers dans un vase d'or " traduit également par " Lotus d'Or " ; le " Jeou Pou Doan " ou " Tapis de prière de la chair " ; le " Hong Lou Meng " ou " Rêve du Pavillon Rouge " sans oublier le fabuleux roman épique et picaresque " Shui Hu Zhuan " " Au bord de l'eau ", traduit par Jacques Dars et publié à la Pléiade.

        Tous ces romans, dans leurs éditions originales ou tardives étaient émaillés de planches illustrant le propos et que l'on pourrait qualifier de grivoises. Le qualificatif de roman érotique ou, à plus forte raison, de roman pornographique ne s'impose donc que d'un point de vue occidental quelque peu puritain.

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