mardi 26 octobre 2010

L'art de la Chambre à coucher : esquisse d'une théorie de l'efficacité

Dans un message précédent, nous nous sommes promenés dans un jardin magique. Magique en ce sens qu'il organise la rencontre entre le Yin et le Yang. Par exemple, un pont permet de passer au dessus d'un étang. Le pont figure le Ciel Yang et l'eau figure la Terre Yin.

Artiste d'origine indienne, Anish Kappor figure cette rencontre du ciel et de la terre dans le paysage urbain de Chicago.


Analyse de la force magique

Le but de la magie vise faire réussir une action. Se promener dans un jardin, rêvasser sur un pont, c'est réussir à faire fusionner en nous le Yin et le Yang. Le corps et l'esprit du promeneur accomplissent ce que suggère l'image du pont sur l'eau. Cependant, pour qu'il y ait force magique, il faut une formule, des mots. Dans le jardin visité à Foshan, un panneau nous invitait à s'installer sur le pont et à lire un poème. Lire un poème sur un pont surplombant l'eau : nous faisons vivre en nous l'Harmonie.

Il y a là la suggestion d'une théorie de l'action efficace. Notre action est réussie lorsque une image "pont/eau" guide notre corps et qu'un poème distille dans notre esprit la force de l'harmonie.
Cette action réussie suppose une double préparation : préparer les Objets afin qu'ils fassent "image" et préparer la Qualité afin qu'elle soit "formule se diffusant dans l'esprit". Cependant, cela suppose une succession de deux natures d'action : 1/ l'action de préparation et 2/ l'action d'accomplissement. Cela nous ramène au Tao/Dao qui met l'action sur la qualité de la marche dans la conduite de nos actions

Première esquisse d'un schéma de l'action réussie


Le Tao/Dao met l'accent sur la démarche. Quelle est la bonne démarche pour conduire l'action ? D'abord, il faut une finalité à l'action. L'action doit se donner une norme de jugement interne concrétisant la Qualité qui est visée.

Ensuite, l'action où apparait la Qualité visée doit être préparée par une ou plusieurs actions préalables. Suivre une démarche, ce n'est donc pas seulement enchainer des actions de même nature selon une mise en rang. C'est distinguer entre deux catégories d'action :

1/ l'action jugée conforme à la Qualité visée : "l'Action Conforme"
2/ la ou les actions de préparation du contexte de l'Action Conforme : nous nommerons ces action, "l'Action Préparation"

Préparer la réussite de l'Action Conforme, c'est mettre en place les Objets nécessaires à l'action et attribuer à chacun la Qualité facilitant l'Action Conforme.

J'introduis un schéma de base explicitant les relations entre Qualité Finale, Objet, Qualité de l'objet, Action de préparation, Action conforme, Sujet de l'Action conforme.


Ce schéma peut être complété par le positionnement de l'Image par rapport à l'Objet et de la Formule par rapport à la Qualité

Cependant, nous ne considérons la réussite de l'action que rapport à une Qualité Finale. Si nous exploitons les potentialités du schéma précédent, nous pouvons poser l'existence d'une Logique de l'Objet qui viendrait équilibrer la dimension qualitative.
De faon à équilibrer la Qualité, introduire en seconde dimension,  la Logique de l'Objet, permet de cerner la dimension du magique. Je fais l'hypothèse que l'efficacité magique ne s'appuie que sur la dimension Qualité et ne considère les Objets que lorsqu'ils sont les reflets des Qualités.

Le divorce de l'Objet et de la Qualité

Dans le jardin, arbres, pierres, constructions présentent des spécificités biologiques et physiques. Mais la logique de ces spécificités est minorée. Ce qui est retenu, c'est la capacité d'un arbre a se développer artistiquement dans une taille réduite, c'est l'apparence d'une pierre creusée par du vide.

Je ne cache pas une certaine lassitude  à la confirmation de l'union du Yin et du Yang à propos de n'importe quelle matière ou organisme vivant. A coté du Yin et du Yang, les chinois se donnent comme idoles d'autres qualités magiques : par exemple le chiffre 8.

On pourrait ici parler d'une passivité de la culture chinoise à propos de ces soumissions à ces images, ces formules, ces chiffres magiques.

A ma lassitude envers l'action magique, il apparait évident de m'opposer l'habileté technique des artisans chinois pour le passé, et l'essor technologique et économique de la Chine contemporaine pour le présent et le futur.

Je pose le diagnostic d'une dissociation. D'un coté, les logiques propres des Objets sont ignorées au regard de Qualités activées par l'action magique. De l'autre coté, les logiques des Objets sont découvertes par tâtonnements empiriques, par expérimentation. Le philosophe Gilles Deleuze qualifierait de schizophrène, de schizoïde la culture chinoise. Est qualifiée de schizoïde une personnalité qui est dissociée en deux personnalités distinctes, l'une ignorant le comportement de l'autre. 

Pour Gilles Deleuze, étant donné le diagnostic de la culture chinoise comme culture schizoïde, le développement actuel de économie chinoise dans la modalité du couplage socialisme/capitalisme serait absolument logique. Nous posons cette citation à titre de suggestion : " La production du Schizo, c'est la production fondamentale du capitalisme".

Cela reviendrait à dire que l'action magique faciliterait le développement du capitalisme. La croyance en la magie fait oublier les conditions concrètes de la production et de la consommation. A titre d'exemple, rappelons ce précepte du marketing : " la valeur (au sens de prix) d'un produit, c'est la valeur que lui attribue le désir du client ". C'est le désir créé par la marque qui fait la prix et non la valeur économique réelle. Ainsi, un jean fabriqué pour quelques euros dans un atelier chinois sera vendu plus de 100 euros dans une boutique européenne.

Dans un prochain message, nous reviendrons sur la schizoïdie de la culture chinoise et l'essor d'un capitalisme à la chinoise. En attendant ce message, je suggère cette transcription d'un cours de Gilles Deleuze : Discussion sur la schizophrénie

Pour aborder cette dissociation entre les logiques des Objets et le système de la Qualité Finale, nous revenons sur un sujet déjà traité plusieurs fois ici : la sexualité féminine, mise au service de la sexualité masculine.

Plusieurs fois, j'ai lu dans les manuels contemporains sur les techniques sexuelles de la Chine ou de l'Inde antique qu'elles étaient bénéfiques à la femme. Cette assertion est très discutable. On constate en fait que si la femme doit être excitée, doit s'exciter, il faut que cette excitation contribue à la satisfaction sexuelle du Maître et à la garantie d'une descendance légitime.

Je vais examiner comment les techniques sexuelles sont focalisées sur la Qualité et que les dimensions des Objets de l'action - ici le Maître de maison et ses femmes - sont réduites à des adaptations de détail.

La stimulation et l'encadrement de l'excitation féminine

Tenons nous dans le cadre de la maison chinoise traditionnelle. Dans cette maison traditionnelle, une des Qualités finales sera l'autorité du maître de maison. Cette autorité se concrétise par le comportement public de ses femmes et de ses concubines : discrétion, réserve, respect des rites. La culture chinoise pose que cette autorité naît au sein de la Chambre à coucher. Réussir ses relations sexuelles avec les femmes et les concubines, voilà une action conforme à l'autorité du Maitre de maison.

Est-ce que la Qualité demandée à la Femme est la soumission passive ? Pas du tout. La femme doit être une partenaire à part entière : son plaisir, son excitation sont nécessaire à l'excitation du Maître.

Dans les conseils prodigués par les traités de « L'Art de la Chambre à Coucher " il apparait deux formes de préparation de l'excitation d'une femme. D'une part, il y a l'excitation féminine dangereuse : c'est celle qui permet une emprise sur le Maître. En devenant la préférée du Maître, cette femme prend le pouvoir sur les autres femmes.

D'autre part, il y a l'excitation féminine légitime : celle qui permet aux partenaires de respecter les devoirs de l'épouse et du Maître au regard de la Tradition. La Qualité d'une excitation féminine particulière doit montrer qu'elle est similaire à l'excitation féminine en général.

Donc, la préparation selon le Dao de l'excitation d'une femme consistera à mettre sur le même plan toutes les excitations des femmes. Cela consiste pour le Maître de maison à montrer qu'il n'a de préférence pour aucune excitation féminine.

Ceci étant posé, des conseils existent qui traitent du "comment exciter une femme". Il apparait alors que les femmes sont des Objets distincts, car elles ne s'excitent pas de la même façon.

J'approfondis ici un des schémas précédent, focalisé sur la seule dimension de la Qualité en montrant qu'il y a deux formes de préparation :

1/ Une préparation par le choix d'une Qualité : comment donner à voir l'excitation d'une femme
2/ Une préparation par l'adaptation à un Objet : comment s'adapter à la façon dont une femme s'excite


Considérons maintenant les extraits suivants fournis par Robert Van Gulik sur « la Sexualité dans la chine ancienne ».

Dans le premier extrait, la préparation de l'excitation de la nouvelle femme arrivant dans une maison, consiste à neutraliser l'effet de son excitation sur le Maître. C'est une femme comme les autres, juste une femme de plus. La Qualité commune de l'excitation féminine en vue d'un Coucher conforme passe par le caractère public du rapport sexuel : les femmes de la maison assistent à la besogne.

«  A. Épouses et concubines occupent leurs journées surveiller tous les menus travaux du ménage Une fois qu'elles ont pris soin de leur chevelure, qu'elles se sont mis de la poudre et du rouge sur le visage, qu'elles ont fait de la musique et joué aux cartes, elles n'ont rien pour se réjouir le cœur hormis la charnelle compagnie. Aussi est-il du devoir de tout maître de maison éclairé d'acquérir une connaissance complète de l'Art de la Chambre à Coucher, afin d'être capable de donner satisfaction complète à ses femmes chaque fois qu'il s'accouple avec l'une d'elles ...


B. Au bout de la rue, côté est, vit un homme jeune et vigoureux, de mine imposante; ses femmes se disputent du matin au soir et ne l'écoutent pas. A l'autre bout de la rue, côté ouest, vit un grison qui marche le dos voûté; ses femmes font tout leur possible pour le servir et lui obéir. Comment cela s'explique-t-il? La réponse est que ce dernier connaît les secrets subtils de l'Art de la Chambre à Coucher, tandis que le premier en est ignorant.


C. Récemment j'ai entendu parler d'un certain fonctionnaire qui a pris chez lui une nouvelle concubine. Avec elle il s'est enfermé à clef derrière les doubles portes et ne s'est pas montré de trois jours. Cette conduite a exaspéré violemment toutes ses épouses et concubines. En vérité, voilà la mauvaise manière (de présenter une nouvelle femme dans la maisonnée). La bonne méthode, c'est que l'homme maîtrise son désir, et que sur le moment il n'approche pas la nouvelle venue, concentrant son attention sur les autres. Chaque fois qu'il commerce charnellement avec ses autres femmes, il doit dire à la nouvelle venue de se tenir au garde-à-vous à côté de la couche d'ivoire. Puis, après quatre ou cinq nuits de cet exercice, il peut s'accoupler pour la première fois avec la nouvelle venue, mais seulement en présence de son épouse principale et des autres concubines. Tel est le principe fondamental de l'harmonie et du bonheur qu'un homme souhaite pour ses appartements.»

 Ainsi, cela explique pourquoi dans les estampes chinoises, une femme ou plusieurs femmes assistent aux ébats de leur Maître avec une partenaire, et plus précisément prépare la partenaire au rapport sexuel. Par exemple, cette estampe.



On comprend que dans cette condition de publicité, l'excitation féminine peut être difficile à venir. Alors, les traités donnent des conseils pour s'adapter aux caractéristiques de chaque femme. Dans ce cas, la femme est considéré comme un Objet distinct d'un autre Objet. L'action n'est plus magique : elle passe par un questionnement empirique. Chaque femme a en effet besoin d'une stimulation qui lui est propre.

« Les sentiments de la femme se tiennent profondément cachés. Comment les éveiller et comment reconnaître qu'ils sont éveillés? Pour les éveiller, il faut suivre la méthode qui consiste à servir tout d'abord une liqueur légère à celui qui désire une boisson forte. Les femmes affectueuses, on doit les rendre plus tendres encore par de doux entretiens; on doit exciter les femmes avides par des présents coûteux; on doit allumer les libidineuses par la vue du membre en érection. Il n'est point de principe constant qui gouverne naturellement les sentiments de la femme : ce qu'elles ont sous les yeux n'a jamais de peine à les persuader.»

Concrétisons notre schéma par les deux extraits précédents :

 Des textes détruits et retrouvés, des textes survivants

A propos du second extrait, il faut souligner que les textes traitant de ces conseils pour la chambre à coucher sont des textes qui sont en fait des textes qui ont été détruits en Chine, et préservés au Japon. Ce sont des textes survivants. Apparemment, ces textes sont inconnus des chinois, des femmes et des hommes chinois.

Je pense que cette impossibilité de relire sa propre culture contribue à la méconnaissance des enjeux de l'évolution contemporaine de la culture chinoise.:

« …Examinons à présent le troisième traité Ming, le Tz' e-kin-koang yue-ta-hsien-hsieo-tchen-yen-yi, que l'on abrégera en Hsieo¬tchen-yen-yi. Le titre complet signifie : « Exposé de la Signification de la Culture de la Vérité, par le Grand Immortel de la Splendeur Pourpre et Or ». Autrement dit, l'auteur de ce texte serait TENG Hsi-hsien, qui écrivit le commentaire du Ki-ki-tchen-king.
Ce texte a survécu 1°, dans une édition originale Ming, tirée en bleu sur un long rouleau horizontal, et datée de 1598. Elle est conservée dans la collection de M. K. SHIBUI à Tokyo. - 2°, dans la réimpression japonaise Po-tchan-pi-cheng déjà men¬tionnée. - 3°, dans une copie manuscrite japonaise, sous la même reliure que le Sou-nu-miao-loen, analysé ci-dessus. - 4°, la réimpression en caractères mobiles, qui date de 1910, et qui contient aussi le Ki-ki-tchen-king.


« Le texte s'ouvre sur une préface signée de TENG Hsi-hsien, où l'on peut lire :
Sous la dynastie Han, dans la troisième année de l'ère Yuan-foug (c'est-à-dire 108 av. J.-C.), WOU Hsien offrit à l'empereur Wou le « Mémoire sur la Signification de la Culture de la Vérité », mais hélas l'Empereur ne put faire usage de ce livre. Voici le traité parvenu à ce siècle tardif. Tout un chacun, s'il peut mettre en pratique l'art ici exposé, ne serait-ce qu'un petit peu, fortifiera par là son corps et prolongera sa vie. Et s'il l'applique dans le dessein d'obtenir une descendance, il engendrera des enfants qui seront sages et qui se laisseront élever facilement. Toutefois, il y a certaines choses qu'il faut éviter, et d'autres qui sont tabou. Il faut commencer par en être au fait; c'est seulement ensuite que l'on pourra procéder selon l'ordre indiqué. J'ai formulé la signification de cet art en vingt chapitres, divisant le processus et établissant la succession correcte (de ces diverses étapes), de telle sorte qu'en suivant cette succession, on parvienne au résultat certain. Si l'on se tient fidèlement à cette succession, le bon résultat se réalisera sans faute. Les adeptes qui cultivent la Vérité posséderont cet art facilement.


Wou Hsien, « Le Sorcier Hsien », est un personnage mythique, visiblement confondu ici avec Wou Yen, dont le Sou-nu-king nous dit qu'il initia l'empereur Wou (cf. ci-dessus p. 178-179).


Les chapitres l et II de ce texte exposent ce qu'il faut éviter et ce qui est tabou, ainsi que la préface l'annonçait. Ils disent quelles sont les femmes avec lesquelles il faut éviter de commercer, et les circonstances qui ne conviennent pas à l'acte sexuel; par exemple quand l'homme est ivre, ou quand il se sent faible et las. Le chapitre III nous dit pourquoi l'Art de la Chambre à Coucher, bienfaisant aux personnes qui en possèdent les secrets, peut nuire aux personnes inexpérimentées, et même les tuer. Le chapitre IV campe la partenaire féminine idéale, et la désigne d'un terme spécial, poo-ting, le « Creuset Précieux» des taoïstes. »


Les chapitres V, VI et VII énumèrent les divers signes auxquels on connaît que l'homme et la femme sont dans la condition requise pour l'acte sexuel, et ressemble en ceci aux sections X et XI de l' Yi-hsin-fang.


Le chapitre VII expose les diverses méthodes par lesquelles on peut exciter la concupiscence de la femme, et en décrit les réactions. Ce passage s'ouvre sur un aperçu de la sensibilité féminine. »

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