jeudi 8 mars 2012

Chine: un village teste la démocratie

De notre correspondant Arthur Henry, publié le 01/03/2012 http://www.lexpress.fr/


Chine: un village teste la démocratie
Jusqu'au 4 mars, quelque 6.000 villageois élisent leurs représentants.
AFP/M.Ralston

Après une révolte anticorruption, à l'automne dernier, les habitants d'un petit port du sud-est de la Chine ont obtenu de désigner librement leurs représentants. Une première suivie de très près à Pékin. 

Au rond-point qui marque l'entrée de Wukan, un village côtier de 12 000 âmes, dans le sud-est de la Chine, un graffiti noir menace: "Les officiels seront punis pour avoir vendu nos terres arables!" Voila une promesse en passe d'être tenue. Car les habitants de ce petit port de la province du Guangdong s'apprêtent à mettre en oeuvre une expérience inédite: le suffrage universel. Pour en arriver là, il aura fallu en découdre avec le pouvoir local. Le 21 septembre dernier, dénonçant la corruption de cadres qui avaient cédé les terres de la commune pour des projets immobiliers dont les dividendes devaient échapper au petit peuple, Wukan s'est soulevé

Après avoir "pétitionné" pendant deux ans, sans être entendus, selon le système traditionnel de recours au gouvernement central, les habitants descendent dans la rue pour manifester. Au fil des semaines, le mouvement prend de l'ampleur: le 9 décembre, à l'issue d'une journée de protestation, cinq meneurs sont placés en détention - "par des agents en civil qui refusèrent de montrer la moindre carte de police", se souvient l'un d'eux, Hong Ruichao. Trois jours plus tard, les autorités annoncent le décès de l'un de ses codétenus, Xue Jinbo. "Personne n'a jamais cru à la version officielle de l'attaque cardiaque", précise Hong. 

Tandis que les villageois menacent de marcher vers la commune la plus proche, la police bloque les accès au bourg: le siège de Wukan commence. Les vivres ne parviennent plus que par des chemins détournés. Les habitants crient leur colère et brandissent des banderoles chaque jour plus longues et plus insolentes. Face à la police armée, la tension monte. Les révoltés fixent un ultimatum, à l'issue duquel ils comptent marcher sur le quartier général du gouvernement du district.  

C'est alors qu'intervient Wang Yang. Ce secrétaire du Parti de la riche province du Guangdong - 110 millions d'habitants - est réputé pour ses penchants progressistes. Au lieu de réprimer la jacquerie, comme c'est l'habitude, il envoie son n°2 discuter avec les insurgés. Surprise! Ce dernier reconnaît le bien-fondé des demandes et consent à l'organisation d'élections libres. 

Lin Zuluan a soutenu la cause des habitants de Wukan (province du Guangdong) et se présente aux élections. Ici, il harangue la foule, en décembre 2011.
Lin Zuluan a soutenu la cause des habitants de Wukan (province du Guangdong) et se présente aux élections. Ici, il harangue la foule, en décembre 2011.
AFP/Lu Hanxin/Xinhua

Un suffrage démocratique en Chine? Des scrutins locaux y sont déjà organisés afin d'élire les membres des comités de district et chacun est, en théorie, libre de s'y présenter. En pratique, toutefois, l'opération est toujours pilotée par le Parti communiste. En 2011, les candidats indépendants faisant campagne sur Weibo, le Twitter chinois, ont vu leur démarche méthodiquement entravée. 

Ces jours-ci, tout Wukan s'affaire à cet exercice politique, qui s'achèvera le 4 mars. "Je verrai bien ce que je dirai à la veille de l'élection", raconte, un peu léger, Xun Wenliang, qui compte parmi la vingtaine de candidats déclarés. Quant à son programme, il promet seulement de nommer les personnalités les plus honnêtes et compétentes pour décider à l'avenir: "C'est déjà assez nouveau, ici".
Alors que la presse internationale évoque désormais le "modèle de Wukan", les habitants du village se veulent plus terre à terre. "Tout ce que nous voulons, c'est récupérer ce qui nous a été volé", explique le candidat Xun. Ce ne sera pas simple: les terrains ont déjà été cédés. "C'est pour cette raison que nous sommes allés jusqu'au bout, poursuit-il. Donc c'est possible!" 

Bon orateur, plutôt aisé, sévère mais proche du peuple qui l'apprécie, Lin Zuluan fait figure de favori. Membre du Parti depuis 1965, il a été nommé chef du comité local, le 15 janvier, lorsque l'homme qui trônait à la tête du village depuis quarante-deux ans a été remercié et mis en examen pour corruption. C'est Lin qui haranguait les foules pendant le siège. "Il est peut-être le dirigeant qu'il nous faut, confie Hong Ruichao, l'un des contestataires détenus en décembre. Il fait ses courses comme tout le monde." 

D'ailleurs, le sage Lin cite déjà le très respecté Deng Xiaoping, architecte des principales réformes menées en Chine à partir des années 1980: "Traversons la rivière en tâtant les pierres." Le processus électoral, complexe, doit voir émerger un comité de gestion et un leader à l'issue de trois tours, entamés début février. "Le plus important est de récupérer la terre du peuple, ajoute Lin. Et le plus difficile est de le faire de manière pleinement démocratique." 

Le PC espère convaincre les paysans qu'il saura, à l'avenir, sanctionner les corrompus 
L'expérience en cours à Wukan est suivie de près à Pékin, où la lutte est acharnée entre les candidats aux neuf postes du Comité permanent, le gouvernail du Parti, renouvelés à l'automne prochain. S'il ne fait guère de doute que Xi Jinping et Li Keqiang deviendront respectivement président et Premier ministre dès le printemps 2013, la mêlée reste ouverte pour les autres nominations. Le pragmatisme du secrétaire du Parti de la province, Wang Yang, lui-même candidat, peut être un atout décisif. "Sa promotion est quasi assurée", pronostique Willy Lam. Selon ce politologue de la fondation américaine Jamestown, le PC espère convaincre les paysans qu'il saura désormais jouer un rôle d'arbitre lors des conflits ruraux, et qu'il n'hésitera pas à sanctionner les corrompus. "Le modèle du Guangdong est d'ores et déjà vanté comme une expérience réussie par l'aile progressiste du Parti" estime Willy Lam. Les plus rétrogrades craignent toutefois qu'avec ses élections démocratiques, Wang Yang n'ouvre la boîte de Pandore au pays du Parti unique. 

Sur une affiche rouge collée en face du bureau de police de Wukan, des caractères calligraphiés appellent à "élire un bon comité afin de promouvoir le développement et la stabilité". Une autre promet l'accès à terme à la "petite prospérité" - selon le terme qui désigne la classe moyenne inférieure. Tous incitent les 7.688 citoyens en âge de voter à se mobiliser. Ce qui n'est pas chose aisée. "Enregistrer tout le monde prend du temps et le peuple n'a pas un sens du scrutin très développé, constate Han Tianbin, membre du comité électoral. La majorité pense, malgré tout, que nous sommes sur la bonne voie". 

L'affaire a rendu Zhou Xiaojie bien curieux de démocratie en général. Cet enseignant d'un collège proche constate cependant que le suffrage n'est pas le remède à tous les maux de la société: "A Taïwan, les élections n'empêchent pas la corruption, car il faut bien financer les campa-gnes, souligne-t-il. Et vous, votre Sarkozy, il est corrompu ou il est propre?" 

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