jeudi 31 mars 2011

“Jishin M9 Tokyo”Retour en France du scénariste de BD Jean-David Morvan

www.telerama.fr/Jean-David Morvan
Jean-David Morvan, français, scénariste et éditeur de BD vit à Tokyo la moitié de l’année. Il s’y trouvait lors du “Jishin M9 Tokyo” le “tremblement de terre de magnitude 9 à Tokyo”. Les sensations, les premiers gestes, la panique… Il raconte.


Tous, on savait qu’il allait arriver. Un jour, une nuit, un été, un hiver. Dans une seconde, une heure, un jour, ou plus. Beaucoup plus, si possible. Au moindre tremblement sensible, les gaijin (étrangers) – comme moi – ressentaient de la surprise, par manque d’habitude. Et les Japonais, de l’angoisse. Car s’ils vivent avec la connaissance de ce risque depuis toujours, ils redoutent qu’un petit tremblement ne dégénère en un plus gros. LE plus gros. L’hypothèse était la faille du Sud de Tokyo, la réalité fut celle du Nord, au large de la région du Tohoku.

Je m’appelle Jean-David Morvan, je suis scénariste de BD. J’ai publié quelque 180 albums, avec des auteurs et des éditeurs du monde entier. Certains sont dessinés par des Japonais, comme Jirô Taniguchi pour Mon année, ou Toru Terada pour Le Petit Monde, et d'autres se passent au Japon, comme Sept Yakuzas (avec Takahashi Hikaru) et Spirou à Tokyo (avec Jose-Luis Munuera). Je vis dans cette ville six mois par an depuis que j’occupe un poste éditorial chez Ankama, qui a une filiale au Japon.

Je loge à 15 minutes de train de Shinjuku, à l'Ouest, dans le quartier des studios et du musée Ghibli d’Hayao Miyazaki. C'est dans ce quartier que la majorité des Japonais rêve de vivre. The « place to be » de la contre-culture des années 70, devenu un petit paradis sur terre, avec un beau parc, des restaurants et bars, des grands magasins. J’étais dans l’un de ceux-là quand ça a commencé de trembler doucement. J'ai d'abord pensé qu'un vendeur passait derrière moi avec un chariot rempli de télés. Et puis comme ça continuait, je me suis dit que c'en était un « petit », comme j'en avais senti chez moi deux jours auparavant. Sauf que ça continuait… ça enflait.

Les luminaires au plafond se secouèrent de gauche à droite avec une amplitude incroyable. Je suis sorti dans la rue, au centre du carrefour, pour éviter de prendre un morceau d'immeuble sur le coin de la gueule. Je n'étais pas le premier à atterrir sur la chaussée, ni le dernier. Autour de nous, tout tremblait… Le métro aérien, à 500 mètres à gauche, s'était stoppé dans son élan, au milieu du quai. J'ai lu plus tard que la secousse avait duré plus de deux minutes, j'aurais été incapable de le dire, tout en l'ayant vécu. Nous étions suspendus psychiquement, dommage que ce ne fut pas le cas physiquement. Puis le monde stable est revenu. Les usagers ont sorti leurs téléphones portables, tentant d'appeler leurs proches, pour les rassurer ou prendre des nouvelles.

Mais rien. Plus de réseau. Seul Internet fonctionnait un peu, ce qui m'a permis d'écrire immédiatement un message sur Facebook et de rassurer mes parents. Le temps d'envoyer le message, la terre se remit à trembler. Moins fort, mais assez pour faire monter l'angoisse. Elle n'allait pas redescendre de sitôt : les jours suivants, les vibrations allaient se succéder à un rythme quasi constant. Devant leur abondance, même la télévision, qui annonce toujours les secousses par un son d'alerte et un message sur l'écran, arrêta de le faire. Sans quoi, il aurait été impossible aux présentateurs de parler.

Je décidai de rejoindre le salon de thé d'un ami, à dix minutes à pied de là. Ensemble, nous avons regardé les premières vidéos, ahurissantes, de la catastrophe : la vague noire, des bateaux s'écrasant sur les ponts où passaient les voitures… Seules les secousses incessantes nous rappelaient à la réalité. Dans mon appartement, les dégâts n’étaient pas aussi importants que je l’imaginais. Certaines étagères pourtant lestées de livres avaient bougé de plus d'un mètre, et quelques jouets ainsi que le flash de mon appareil photo avaient été cassés. En comparaison des images de plus en plus précises qui passaient sur ma télévision, montrant en boucle le tsunami de la journée et la ville de Sendai en feu, je m'estimais TRÈS heureux. Ce que je vivais à Tokyo n'était rien en comparaison du Tohoku. Je n'avais, moi, pas vraiment besoin du courage que tout le monde me demandait d'avoir. Il fallait juste gérer un stress usant dû aux tremblements. Et faire le grand écart entre les informations japonaises « rassurantes », et celles « catastrophistes » du reste du monde.

J'ai préparé un sac avec mes affaires de première nécessité (mon ordinateur portable et un disque dur, des vêtements, une bouteille d’eau…) et ai dormi tout habillé sur mon lit, près de la porte de secours, avec mes chaussures au pied du sommier. Le lendemain, les rues étaient d'un calme étrange. Une ville à l'âme de fantôme, un temps constant, des regards fuyants. Et puis une nouvelle soudaine : l'explosion de l'enceinte d'un des réacteurs nucléaires de Fukushima. Soudain, donc, des emplettes à faire. Stock d'eau, de nouilles instantanées, de conserves. Et, surtout, penser à laisser toujours la baignoire remplie d'eau claire, si jamais celle du robinet finit par être contaminée. C'est ce jour aussi que les messages de l'ambassade de France, à féliciter pour son formidable travail, ont commencé à apparaître sur mon téléphone. Expliquant par exemple comment se calfeutrer chez soi en cas de nuage radioactif. Oui mais… Peut-on rester chez soi en cas de nouveau gros tremblement de terre ? Non, il faut sortir. Et dehors, l'ennemi invisible vous attend…

Je décidai alors de partir pour le Sud. Mais pas un seul véhicule à louer dans Tokyo, et plus de carburant dans les pompes… C'est donc avec mes chaussures que je me rendis à la gare pour acheter un billet de train pour Kyoto, départ le lendemain tôt. Je passai la nuit à imprimer des photos pour monter un dossier en vue d'une exposition à New York, et mangeai des fraises – oui, c'est la saison au Japon. Un petit réconfort, certes, mais TOUT était bon à prendre, cette nuit-là. Une idée vint : réaliser un blog, en demandant à des amis illustrateurs et bédéistes (Sylvain Runberg, Kness et Made du forum graphique CaféSalé pour commencer) de faire des dessins de soutien aux victimes. En espérant pourvoir ensuite regrouper tout cela dans un livre dont les bénéfices seraient reversés à une ONG. C’est ainsi qu’est né le projet Tsunami, lors des tremblements incessants.

Le lendemain, à la gare, je me rendis compte que j’avais oublié mon sac à dos – qui ne me quittait pas depuis deux jours, et contenait mon portable – dans le métro. Je rentrai chez moi récupérer mon ordinateur de salon puis retournai prendre le train. A peine parti, un sms d'une amie : une nouvelle enceinte de centrale nucléaire vient d'exploser. Filant à 300 kmh sur les rails, je passai mon temps à appeler des amis. Certains avaient décidé de partir vers le Sud, comme moi. D'autres, pour des raisons tout aussi respectables, restaient à Tokyo. A peine le pied posé à Kyoto, je sentis que le sol tremblait ici aussi. Pas autant qu'à Tokyo bien sûr, mais assez pour mettre la puce à une oreille interne habituée à détecter la moindre secousse.

Sur place, les gens semblaient mener une vie « classique » du Kyoto de toujours. Que faire ? Se laisser aller à faire un peu de tourisme. Entrer dans le flot de l'insouciance, relâcher un peu la pression, pour ne pas exploser totalement. Mais replonger dans les infos non-stop dès le retour à la chambre d'hôtel. Entre deux, discuter avec des amis, qui se demandent comme moi s'ils restent ou partent. Evoquer le « problème » de leurs épouses japonaises, qui ont toutes vécu à l'étranger, mais ne veulent pas quitter leurs parents et bloquent leurs enfants sur place. Il n'y a cependant pas lieu de juger les décisions. Qui est le plus lâche ? Celui qui part, ou celui qui n'ose pas briser ses habitudes ? Ce n'est plus qu'une question de choix personnel. De la culpabilité pour ceux qui partent ? Mais en quoi pourrait-t-on aider ? Nul n'est capable d'arrêter secousses, vagues et radiations. Alors, si c'est pour devenir une personne de plus à sauver et nourrir en cas de nouveau problème...

Je me décide, mardi 15 mars, après un nouveau problème de centrale et un séisme de magnitude 6 à Shizuoka, entre Tokyo et Kyoto. Il me faut trouver sur un billet pour la France ou n'importe où en Europe. Mais pas de places disponibles à moins de 3 200 € l’aller simple. Après un mini-scandale médiatique, les prix descendent. Le lendemain, pas de problème majeur sur le trajet. Juste une surprise : il neigeait malgré le soleil. Mais finalement, depuis une semaine, tout était fou autour de moi ; j'en avais fait mon quotidien. Enregistrement, douane, vol, escale, vol, bagages, douane. Je suis en France. Est-ce chez moi ? Je ne sais plus bien, je n'ai pas le temps d'y penser. Il faut faire avancer le blog de soutien. Au vu de l'importance des dégâts, la somme rapportée sera de toute façon symbolique. Mais c'est justement ce symbole qui compte : aider en faisant ce que l’on sait faire, pour favoriser l’après.
Reims, le 28/03/2011

Comment décrypter la culture japonaise ?


Voila le lieu commun - le topos - qui se décline à propos du peuple japonais :

"Sept fois à terre, huit fois debout" Ce proverbe japonais devrait être accroché demain au fronton de nos maisons. Il résume le stupéfiant courage du peuple nippon et son héroïsme silencieux. Un remake, puissance 100, du 11 septembre 2001. Pour faire leur deuil, les Américains avaient crié vengeance et lancé une croisade contre le terrorisme. Les Japonais, eux, vont probablement se souder dans un immense effort collectif de reconstruction. On peut imaginer la discipline et l’acharnement avec lesquels ils vont s’attaquer au travail titanesque qui les attend.[Capital n°235]

Un potentiel d'énergie : Courage, héroïsme, immense effort, travail titanesque ..

Une collectivité où l'individu est anonymisé : Peuple, collectif, se souder, rester silencieux, être discipliné

Un comportement de maintenance de la vie : S'attaquer à, s'acharner, se relever, se relever encore et encore

Que vaut ce lieu commun ? C'est une image que les japonais se donnent d'eux-même, peut-être ! Mais derrière l'image, quels sont les enjeux ?

Par exemple, les dirigeants de TEPCO, qui sont directement responsables de la catastrophe de Fukushima ne sont pas vraiment conformes à ce lieu commun. Paresse, égocentrisme, passivité.

Serait-ce l'indice de deux couches distinctes de personnes. Celles qui jouent "perso" et celles qui se plient au collectif.




mardi 29 mars 2011

Tepco n'a pas tenu compte de mises en garde sur Fukushima

 Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :

Un ingénieur haut placé chez Tokyo Electric Power (Tepco) avait envisagé en 2007 qu'un tsunami excède les capacités de résistance de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi mais l'opérateur n'a pas retenu ses conclusions.
L'ingénieur chargé de la sécurité des installations estimait à 10% la probabilité qu'une vague sismique dépassant les six mètres, limite maximale retenue pour la sécurité du site, frappe la centrale dans un délai de cinquante ans.
Le 11 mars, la vague qui s'est écrasée sur Fukushima-Daiichi était haute de 14 mètres.
Au-delà de cette étude, plusieurs éléments et témoignages attestent que l'opérateur de la centrale n'a pas tenu compte de nombreux avertissements sur ses failles de sécurité et que les régulateurs du nucléaire japonais n'ont jamais contraint les entreprises à adapter les règles de sécurité de leurs centrales.
"Du fait des incertitudes qui entourent le phénomène des tsunamis, la probabilité existe toujours que l'amplitude d'un tsunami excède la hauteur retenue pour la conception (de la centrale)", peut-on lire dans le rapport présenté une première fois en juillet 2007, lors d'une conférence à Miami.
En d'autres termes, l'équipe de l'ingénieur Toshiaki Sakai a déterminé qu'il y avait un risque sur dix qu'une vague géante passe au-dessus des murs d'enceinte de la centrale.
Tepco n'en a pas tenu compte.
RISQUE
Sakae Muto, vice-président de Tepco, a assuré que les protections de la centrale avaient été conçues "avec une marge d'erreur" basée sur les précédents tsunamis ayant frappé la région. En 1960, une vague de près de six mètres avait déferlé sur les côtes japonaises après un puissant séisme au Chili.
"Certains avaient relevé la possibilité d'un tsunami plus important que ce sur quoi nous nous étions fondés, mais de ce que je sais, cela ne faisait pas consensus parmi les experts", a dit à Reuters le vice-président de Tepco.
L'étude représentait plusieurs années d'un travail entamé par les ingénieurs en sécurité de Tepco après le séisme de 2004 au large de Sumatra. Un tsunami a inondé une centrale nucléaire indienne et éveillé les craintes d'un événement similaire au Japon, où plusieurs centrales sont situées près des côtes.
Fukushima-Daiichi, centrale vieille de 40 ans, est de plus construite près d'une zone sismique du Pacifique qui, selon l'étude, a produit, en 400 ans, quatre tremblements de terre d'une magnitude égale ou supérieure à 8.
Bien que n'ayant pas suivi les recommandations de ses propres ingénieurs, Tepco n'a pas contrevenu aux règles de sûreté nucléaire en vigueur au Japon. "Il n'y a pas d'obligation légale de réévaluer les mesures (de sécurité) relatives au site de façon périodique", a souligné le gouvernement en réponse à l'Agence internationale à l'énergie atomique (AIEA) en 2008.
Ces vingt dernières années, les trois organismes de sûreté nucléaire au Japon n'ont jamais écarté le risque d'un accident grave qui mettrait à l'épreuve les standards de sécurité, tant loués par ailleurs, des 55 centrales japonaises.
Mais ils ont toujours laissé à Tepco et aux autres opérateurs la responsabilité d'éviter ces scénarios.
AÉRATION
Depuis l'accident de Tchernobyl, il y a 25 ans, les opérateurs et régulateurs de l'industrie nucléaire, en Europe et aux Etats-Unis, ont commencé à examiner les scénarios du pire plutôt que d'adapter leur défense contre les incidents.
Le Japon ne l'a pas fait, préférant insister sur la maintenance régulière et la correction des défauts de ses vieilles centrales.
Tepco a ainsi obtenu que le réacteur n°1 de Fukushima-Daiichi - où le risque d'une explosion de vapeur est aujourd'hui le plus fort - soit prolongé de dix ans en présentant un projet de maintenance.
L'autre point faible des centrales japonaises réside dans leurs systèmes d'aération. Après l'accident nucléaire de Three Mile Island, en 1979 aux Etats-Unis, les opérateurs de centrales américaines ont renforcé leurs systèmes. La Commission japonaise de sûreté nucléaire a jugé qu'il n'était pas nécessaire de l'imposer.
L'aération d'une centrale nucléaire est l'un des derniers moyens d'empêcher la pression de faire exploser l'enceinte d'un réacteur et de laisser échapper des particules radioactives.
Dans la crise actuelle, la faillite de ces conduits d'aération est peut-être à l'origine des explosions d'hydrogène survenues après le tsunami dans les réacteurs 1 et 3.
Henri-Pierre André et Clément Guillou pour le service français, édité par Gilles Trequesser

lundi 28 mars 2011

Pourquoi y a-t-il si peu de pillage au Japon?

 Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :

Christopher Beam est journaliste politique à Slate.com. Vous pouvez lui écrire à l'adresse suivante jcbeam @ gmail.com

Au milieu du chaos, comment se fait-il que les Japonais ne se mettent pas à dévaliser les commerces? C’est le fonctionnement de la société nippone qui l’explique.

- Dans un supermarché de Tokyo le 16 mars 2011. REUTERS/Issei Kato -


Si votre appartement avait été secoué par un séisme de magnitude 9, frappé par un tsunami et imprégné de particules radioactives provenant d’une centrale nucléaire, vous auriez le droit de péter les plombs. Pourtant, les sinistrés japonais sont d’un calme à toute épreuve. Ils font la queue devant les supermarchés. La vie est «particulièrement bien organisée», rapporte la chaîne PBS. «La discipline japonaise s’impose malgré le désastre», résume un chroniqueur du Philippine Star.

Chacun connaît les stéréotypes (qui se vérifient souvent) sur les Nippons: ils sont d’une honnêteté et d’une discipline extraordinaires. C’est une société «collective», qui fait primer le groupe sur l’individu! Évidemment qu’ils ne vont pas se mettre à voler dans les magasins après la catastrophe naturelle la plus dévastatrice de leur vie, contrairement  à certains habitants de la Nouvelle-Orléans, en 2005, après l’ouragan Katrina, ou à des Haïtiens à la suite du séisme qui a frappé l’île en 2010. Bien qu’affamés, les Japonais s’astreignent à respecter les files d’attente qui grossissent devant les magasins d’alimentation.

Selon Mark D. West, professeur à la faculté de droit de l’Université du Michigan, ces explications culturelles sont insuffisantes, car elles forment un cercle: «Pourquoi les Japonais ne se livrent pas au pillage? Parce que ce n’est pas dans leur culture. Comment cette culture est-elle définie? On ne pille pas.» Il existe des explications sans doute plus convaincantes, de nature structurelle: un solide système de lois qui incite à l’honnêteté, une forte présence policière et, paradoxalement, des organisations de crime organisé très actives dans le maintien de l’ordre.

Une honnêteté motivée
Si les Japonais sont l’un des peuples les plus honnêtes, c’est peut-être parce que la structure juridique du pays récompense cette honnêteté plus qu’ailleurs. Dans une étude réalisée en 2003 sur la célèbre politique du gouvernement japonais visant à récupérer les objets perdus, Mark D. West explique que les taux élevés de récupération sont moins liés à l’altruisme qu’à la politique de la carotte et du bâton, qui encourage les gens à ramener les objets trouvés au lieu de les garder pour eux. Par exemple, si vous tombez sur un parapluie égaré et que vous le rapportez à la police, vous percevrez 5 à 20% de sa valeur si son propriétaire vient le récupérer. Si personne ne se manifeste au bout de six mois, le parapluie sera à vous, si vous le souhaitez.

Dès le plus jeune âge, les Japonais apprennent à fonctionner avec ce système. Aussi, lorsqu’un enfant se rend pour la première fois au commissariat de son quartier pour rapporter une pièce de monnaie –pour donner un exemple–, c’est un véritable rite d’initiation pris très au sérieux par le gamin et les policiers. En même temps, les mesures de la police face aux petits délits, comme les larcins, sont très strictes, un peu à l’image de la politique de la vitre brisée mise en place à New York dans les années 1990. Si vous ne rendez pas un portefeuille que vous avez trouvé, vous risquez, dans le meilleur des cas, de subir plusieurs heures d’interrogatoire, dans le pire, de passer 10 ans au trou.

Présence policière
Fortes de 300.000 agents, les forces policières japonaises sont visibles et très actives dans tout le pays. Les gardiens de la paix arpentent leur secteur et discutent avec les habitants et les commerçants. Ils assurent des permanences dans les très nombreux kobans, ces cabines ou petits locaux occupés par un ou deux agents. Dans certaines villes, ces mini-postes de police sont parfois séparés d’une ou de deux centaines de mètres. En 1992, une enquête a révélé que 95% des Japonais savaient situer le koban le plus proche de chez eux; 14% connaissaient même le nom d’un agent qui y était affecté.
Au Japon, les policiers sont bien payés, si bien que de nombreux jeunes diplômés sont attirés par la profession. Par ailleurs, ils bénéficient de logements sociaux très intéressants. Les forces de l’ordre sont proches de la population et cultivent cette proximité: la police métropolitaine de Tokyo a même une mascotte, Pipo-Kun (dont le nom signifie «peuple + police»). En outre, la police nippone est compétente: en 2010, le taux de résolution des meurtres a atteint 98,2%!, rapporte Mark D. West (un chiffre si incroyable que certains soupçonnent que certains meurtres n’ont pas été pris en compte).

Crime organisé
Depuis que le séisme a fait trembler le nord-est du Japon, les policiers ne sont pas les seuls à surveiller le pays. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les yakuzas aussi maintiennent l’ordre. Les trois principales organisations criminelles du pays –les Yamaguchi-gumi, les Sumiyoshi-kai et les Inagawa-kai– «ont formé des escouades chargées de patrouiller les rues de leurs territoires et de s’assurer qu’aucun pillage ou vol n’ait lieu», écrit dans un e-mail le reporter Jake Adelstein, auteur de Tokyo Vice: An American Reporter on the Police Beat in Japan [il a accompagné des policiers japonais sur le terrain]. «Les Sumiyoshi-kai disent avoir acheminé plus de 40 tonnes d’[aide humanitaire] dans le monde entier, et je crois que qu’il s’agit d’une sous-estimation.» Un de ces groupes a même ouvert ses bureaux à Tokyo pour accueillir les Japonais et étrangers qui se sont retrouvés bloqués après l’interruption des services de transport en commun, à la suite des premières secousses.
«Comme me l’a expliqué par téléphone un chef des Sumiyoshi-kai, raconte Jake Adelstein, en temps de crise, il n’y a pas de yakuzas, de civils ou d’étrangers. Il n’y a que des hommes et des femmes, et nous nous devons d’être solidaires.»
Même en temps normal, les yakuzas font respecter l’ordre. Ils pratiquent l’extorsion de fonds, gèrent des réseaux de prostitution et de narcotrafiquants, mais ne tolèrent pas le vol.
A l’évidence, la culture japonaise de l’entraide explique dans une certaine mesure le calme avec lequel les Nippons réagissent à la double catastrophe dont ils ont été les victimes. Mais il convient de souligner le rôle joué par les systèmes et les institutions qui encadrent la société japonaise.
Jake Adelstein cite un vieil adage japonais qui aide à mieux comprendre cet état d’esprit solidaire:
«Votre gentillesse finira toujours par être récompensée. La charité est un bon investissement.»
Toute médaille ayant son revers, ceux qui ne sont pas gentils seront punis.
Christopher Beam

Traduit par Micha Cziffra

Japon : suicide et responsabilité

 Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :

Extrait de slate.fr 25 mars 2011   Humeur de David Doucet
Les dirigeants de Tepco se feront-ils seppuku?
L’échec n’est pas accepté par la société japonaise. Traditionnellement lorsqu’ils échouent, les Japonais n’hésitent pas à démissionner, voire, plus rarement, à se suicider.
- Un samouraï se faisant "seppuku" par Kunikazu Utagawa via Wikimedia Commons -

SLATE CONSEILLE
Pourquoi y a-t-il si peu de pillage au Japon?
L’accident du parc nucléaire de Fukushima représente sans nul doute la seconde plus grande catastrophe de l’histoire japonaise après Hiroshima. Aux yeux des Japonais et du monde, les dirigeants de Tepco (Tokyo Electric Power) sont les principaux responsables du désastre.
Pourtant le PDG, Masataka Shimizu, a disparu de la sphère publique depuis le dimanche 13 mars, date de sa dernière conférence publique. Depuis ce jour où il s’est confondu en excuses, le patron de Tepco s’est totalement éclipsé des réunions publiques, laissant à son porte-parole le soin de représenter l’entreprise. Le 18 mars, le directeur général de Tepco Akio Komiri a bien fait une apparition en conférence de presse afin d’informer les journalistes, mais il a quitté la salle en larmes, dépassé par l’ampleur de la catastrophe. Il aura fallu attendre le 22 mars pour qu'un dirigeant de Tepco aille présenter ses excuses aux riverains de la centrale de Fukushima-Daiichi.

Une éthique de la responsabilité

Cette attitude tranche avec les coutumes nippones. La population japonaise étant habituée à ce que les dirigeants politiques ou économiques fassent front devant l’adversité. «Traditionnellement, lorsqu’un échec est constaté, il est pleinement assumé, les Japonais cherchent rarement à fuir leurs responsabilités», constate Guillaume Carré, directeur du Centre de recherches Japon à l’EHESS. 
«Les démissions sont beaucoup plus fréquentes qu’en Europe et donnent souvent lieu à des séquences d’excuses publiques. Lorsqu’un homme public japonais est mis en cause, il démissionne. Lorsqu’ils sont condamnés par la justice, ils font rarement appel.»
En cinq ans, le Japon a connu autant de Premiers ministres. Face à une crise de confiance, les hommes politiques japonais n’attendent pas la fin de leur mandat pour présenter leur démission. Dernier exemple en date? Le départ du ministre des Affaires étrangères, Seiji Maehara, cinq jours avant le séisme, pour une histoire de corruption.
Souvent, les démissionnaires ne font qu’anticiper la sanction qui les attend. «Lorsque vous allez en prison, vous ne vous êtes pas acquittés de votre dette à l’égard de la société, on considère que vous n’êtes plus digne de confiance. La pression sociale est plus lourde qu’en Occident», observe Guillaume Carré, qui souligne également que la presse nippone peut-être plus virulente qu’en France.
Selon lui, cette culture de la responsabilité est un héritage du néo-confucianisme qui plaçait son idéal dans la responsabilité individuelle et le respect de l’autorité. Institutionnalisé au XIXe siècle comme socle de l’éducation, cette éthique guerrière a été généralisée pour modeler l’âme japonaise et renforcer la cohésion nationale. 
A la lueur des critiques actuelles à l’encontre de Tepco, une «décennie de négligences et d’opacité» remonte progressivement à la surface. En 2002, les Japonais avaient appris que durant les années 1980 et 1990, le producteur d’électricité nippon avait falsifié une trentaine de rapports d’inspection relevant des fissures ou de la corrosion sur les enceintes de confinement des réacteurs. En 2007, de nouveaux rapports falsifiés ont été découverts par l'Agence de sûreté industrielle et nucléaire, augmentant davantage le poids de la suspicion.
En 2002 face au scandale, la direction de Tepco avait plié sous le poids de la tradition et été contrainte à la démission.
«L’éthique de responsabilité des Japonais a des conséquences moins radicales que par le passé. Les démissions sont fréquentes mais les suicides sont plus rares. Ça peut arriver pour des hommes politiques locaux comme Nakajima Yôjirô en 2001 mais ce n’est pas fréquent.»

Une culture de la mort volontaire

Si le sacrifice de soi demeure une manière honorable de se faire pardonner pour une partie de la population, «vous aurez dû mal à trouver un responsable qui se fera Seppuku devant tout le monde pour assumer la responsabilité de cette catastrophe nucléaire», estime Guillaume Carré.
Les suicides de personnalités publiques ont tendance à se raréfier. Le dernier remonte à plus de quatre ans: le ministre de l’Agriculture, Toshikatsu Matsuoka, accusé de corruption, s’était pendu avant une séance de questions au Parlement.
Pour autant, le suicide est un véritable fléau au Japon. Chaque année depuis plus de treize ans, le nombre de suicidés dépasse les 30.000. Soit un suicide toutes les quinze minutes. «26 suicides pour 100.000 habitants pointait The Guardian, un taux sensiblement plus élevé que n’importe autre pays de l’OCDE puisqu’à titre de comparaison le taux du Royaume-Uni est d’environ neuf pour 100.000, et le taux des Etats-Unis autour de 11.»
Parmi ces suicides, le «Sekinin jisatsu» —«suicide de responsabilité», nom que la société japonaise a attribué à ses suicides motivés par une humiliation sociale— représente un quart des suicides, selon l’Agence nationale de police japonaise en 2004.
L'écrivain Maurice Pinguet expliquait dans son livre sur La mort volontaire au Japon, daté de 1984,  que les Japonais s’identifient tellement étroitement à la fonction qu’ils occupent que lorsqu’ils sentent leur «personnage social» menacé, ils cherchent à assumer «emphatiquement leur responsabilité», quitte à emprunter pour cela la voie du suicide…
Dans son essai sur La culture psychologique des Japonais daté de 1973, un professeur d’anthropologie à Berkeley, George De Vos, relevait de nombreux cas de suicides de «supérieurs qui bien que totalement ignorant de l’action de leurs subordonnés, en assumaient néanmoins la responsabilité en s’engageant dans un suicide ritualisé».
Dans un ouvrage de 1986, Suicide and economic success in modern Japan, le sociologue Mamoru Iga confirmait ce trait du psychisme japonais en affirmant que lorsqu’ils se «sentent étouffés par la difficulté, les Japonais ont non seulement une forme d’acceptation vers la mort mais ils sont également susceptibles d’éprouver le besoin de se suicider», comme si cet acte constituait un moyen d’échapper au déshonneur pour les guerriers («bushi»).

L’acte suicidaire reposait alors traditionnellement dans la pratique du «seppuku» (littéralement «coupure au ventre», plus connu en France sous le nom d’«hara-kiri»), c’est-à-dire l’éventrement au niveau de l’abdomen, au moyen d’un sabre court. Selon Guillaume Carré, même si cette coutume n’a concerné qu’une «fraction très minoritaire des Japonais, les guerriers pendant la période d’Edo (1600-1687), puis les officiers de l’armée jusqu’à la défaite de 1945» elle demeure «l’une des plus emblématiques de la civilisation japonaise».

Aujourd’hui à part chez des nostalgiques de la guerre du Pacifique, le suicide par éventration n’est plus pratiqué. Le dernier «seppuku» célèbre fut celui de l’écrivain Yukio Mishima après son coup d'état manqué en 1970, marquant durablement l’opinion publique par son caractère autant poétique qu'anachronique.







5 réactions
Les liquidateurs de Fukushima
Soumis par LJDD, le vendredi 25 mars 2011 à 18h48
En l'état actuel des choses, les liquidateurs de Fuskushima sont de fait en situation de hara kiri.
TEPCO, de toute évidence, a perdu le contrôle de la centrale. En ultime recours il leur faudra recourir à la solution du sarcophage.
Sachant qu'il a fallu 600 000 liquidateurs pour le sarcophage d' un réacteur à Tchernobyl combien il en faudra pour les 4 problématiques de Fukushima ?
Comment et qui sera désigné ?
L'évolution des moeurs et des mentalités permettra t'il ce sacrifice ?
Cela pose beaucoup de questions.
@l'auteur Le mot suicide n'a ..

Le mot suicide n'a pas la même connotation en Occident qu'en Orient et plus précisemment au Japon .
Chez nous , le suicide est en général , un acte accompli par quelqu'un de désespéré de sa vie actuelle .
Dans le vieux Japon , et plus précisemment au temps des Samouraïs ( c'est l'illustration de votre article) , il y avait dans l'acte de supprimer sa vie , une intention religieuse liée au Karma et au fait de briser sa "roue" et de n'avoir pas à " revenir" sur terre ( réincarnation ) pour expier la faute commise dans la précédente existence.
IL nous est difficile à nous Occidentaux de comprendre ce geste que nous traduisons par suicide .
C'est un geste réalisé en toute Conscience.

Réponse de David Doucet
J’ai souhaité me focaliser sur l’aspect contemporain. En l’absence d’interdit religieux formel comme en Occident, c’est vrai que les Japonais ont longtemps perçu le suicide comme une manière honorable d’assumer ses responsabilités. Néanmoins, cet acte reposait davantage sur l’impossibilité du pardon que sur des valeurs héroïques puisque si le chef de guerre vaincu ne s’acquittait pas du «seppuku», ses adversaires s’en prenaient alors à sa famille. Guillaume Carré parle d’un «mode d’exécution de la peine capitale propre à la condition guerrière».

Cette éthique de la responsabilité permettait d’ailleurs des transitions politiques plus faciles d’un régime à l’autre comme au moment de l’ère Meiji avec la disparition des samouraïs ou après la Seconde guerre mondiale avec la disparition de la caste militaire au pouvoir. Après la capitulation, tour à tour le général Anami, l’amiral Ōnishi, le vice-amiral Ugaki se firent «seppuku» afin d’assumer l’entière responsabilité de la défaite. Ministre de la guerre et homme fort du régime, on retrouva près du cadavre d’Anami ce poème confirmant la portée de son geste: «Par ses dieux protégé notre pays natal, lui ne périra pas. Qu’à l’empereur ma mort s’offre pour expier le grand crime commis».
....
 Pour avoir fait quelques années de recherches sur l’histoire de l’Allemagne, je peux vous affirmer que l’on ne peut pas obtenir des résultants intéressants en laissant de coté les travaux réalisés dans le pays étudié.
Guillaume Carré et d’autres historiens français s’appuient sur les recherches réalisées par des chercheurs japonais. Concernant le « seppuku », on pourrait citer la sociologue Eiko Ikegami ou l’historien Hirofumi Yamamoto.
Le problème c’est qu’en France, le seul ouvrage que nous ayons sur le suicide au Japon, celui de Maurice Pinguet, est assez daté (1984).

Tsunami : énergie sans limite

 Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :

Effroyable : la vidéo de la ville de Kesennuma rasée en 5 minutes par le tsunami japonais 28/03/2011

Kesennuma se trouve dans le nord-est de Honshu, la principale île de l'archipel du Japon.
Vidéo extrêmement impressionnante : elle dure 5 minutes pendant lesquelles on voit la montée progressive de l'eau et une ville disparaître, lors du Tsunami qui a ravagé une partie du Japon le 11 mars 2011.

“Les Japonais cherchent la posture la plus harmonieuse devant l'inéluctable.”

 Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :

Propos recueillis par Marine Landrot Télérama n° 3193
Défricheur de littérature asiatique, l'éditeur Philippe Picquier explique la dignité des Japonais face à la catastrophe par leur conception du monde. Pleine de sagesse.

C'est en Arles, au Mas de Vert, que Philippe Picquier dirige une maison d'édition à son nom, entièrement consacrée aux littératures d'Extrême-Orient. Au commencement, en 1986, sans parler un seul mot de japonais ni de chinois, il se prit de curiosité pour les romans écrits dans ces deux langues, et défricha des pans de littérature inconnus. C'est lui qui fit connaître des auteurs comme Ryû Murakami (Les Bébés de la consigne automatique) ou Yan Lianke (Le Rêve du village des Ding). Ses proches le disent souvent « plus japonais que les Japonais », à cause de sa pudeur extrême, de sa sérénité mystérieuse, de sa réserve tenace. Philippe Picquier reconnaît que la découverte du Japon a totalement changé sa façon de voir le monde...

Vous êtes en contact quotidien avec vos auteurs japonais. Comment réagissent-ils à la catastrophe qui s'est abattue sur leur pays ?
Tous sont très inquiets mais, pour l'instant, aucun ne veut partir. Une amie japonaise me disait qu'elle restait parce qu'on avait « besoin d'elle ». Je suis frappé par la cohésion sociale très forte au Japon. La population ne fait aucune confiance au gouvernement, à cause de quarante ans de corruption au pouvoir. Mais les Japonais ont une idée très particulière de l'Etat et de la participation citoyenne à la vie. La solidarité est intense et implicite. Chacun se sent concerné par l'autre, tous partagent une même façon de regarder le monde. C'est pourquoi vous ne verrez jamais aucune scène de pillage, d'hystérie collective.

“Les Japonais ne construisent pas des cathédrales mais des jardins...”

L'extrême dignité du peuple japonais a marqué tous les esprits...
Ce qu'on perçoit, c'est qu'ils savaient que ça allait arriver. Ce n'est pas du fatalisme, ni de la résignation. Juste l'acceptation de quelque chose d'incontrôlable. La menace du tremblement de terre fait partie de leur vie, dès la naissance. Il suffit de fermer sa porte d'hôtel, lorsqu'on voyage au Japon, pour s'en rendre compte : les instructions en cas de séisme y sont systématiquement affichées. La dignité des Japonais leur est donc profondément naturelle, et ils n'imaginent pas qu'elle puisse forger de l'admiration.

D'où vient cette culture de la pudeur ?

Du shinto, religion nationale de la communion avec la nature, et du bouddhisme, qui implique une acceptation de la mort, liée à « l'impermanence des choses », à leur caractère éphémère. Tous les Japonais sont shintoïstes à la naissance, et meurent devant Bouddha. Ils ne construisent pas des cathédrales mais des jardins... Ils ont la conscience aiguë de faire partie d'un monde habité par des forces et des esprits, dont ils ne sont qu'un élément et avec lequel ils doivent se trouver en harmonie. Ce qui explique la vénération que continuent de susciter les plantes, les pierres, et les phénomènes tels que vent, pluie, tonnerre, tremblement de terre. Lorsque l'être humain n'est plus en harmonie avec la nature, les éléments se déchaînent, et la punition tombe. Peu après le séisme, on a entendu le maire de Tokyo dire que le divin s'était fâché. Un peu comme les Chinois parlaient du « mandat du Ciel » qui avait été retiré à l'empereur.

Comment ce rapport au monde se traduit-il dans la littérature ?

Par une filiation étrange, unique, naturelle, entre les auteurs du Xe siècle et ceux d'aujourd'hui. Aucune autre littérature nationale n'affiche une telle continuité, une telle proximité de sensibilité au cours des siècles. Il suffit d'ouvrir Notes de chevet (éd. Gallimard), écrites vers l'an 1000 par Sei Shonagon, une femme de lettres exceptionnelle. C'est une sorte de journal, où elle recense de petites observations très fines sur les gens qui l'entourent. Les titres de ses brèves parlent d'eux-mêmes : « Choses qui sont du passé », « Choses qui font rire », « Les roses trémières desséchées » « Un petit morceau d'étoffe violette ou couleur de vigne », « Un vase de terre cuite non vernissée ». Elles disent l'importance du détail dans la culture japonaise. Un sourire, une fleur, une teinte... Lisez Les Herbes du chemin (éd. Picquier), un livre écrit neuf cent quinze ans plus tard par Natsume Sôseki (l'auteur qui figure sur les billets de 1 000 yens japonais). On y retrouve la même attention aux petits détails qui n'en valent apparemment pas la peine, et qui renvoient à cette idée d'impermanence des choses. La littérature japonaise décrit toujours un monde flottant, où l'on avance entre le réel et la fiction comme sur un tapis roulant, avec un sentiment très fort de l'éphémère.
“Au Japon, on apprécie le renoncement, non pas pour le plaisir de souffrir,mais parce que l'on sait que tout se volatilise.”

Les écrivains contemporains que vous publiez, comme Hiromi Kawakami (1) ou Yû Nagashima (2) s'inscrivent dans cette même mouvance...

Je préfère les mots qui bruissent aux ondes de choc. Les romans japonais que je publie font presque tous l'éloge de la lenteur, du calme subit, de la nonchalance. Ils captent en plein vol la douceur et la précarité des choses, et partagent ce sentiment que nous vivons à part entière dans un monde qui nous échappe. La réaction des Japonais face à la catastrophe d'aujourd'hui reflète bien cette philosophie. Ils sont régis par deux notions essentielles dans leur culture. La première, le wabi, implique un attachement au raffinement dans la simplicité. La seconde, le sabi, est liée à la sensation aiguë du temps qui passe. Les Japonais préfèrent toujours l'obscurité à la lumière, la modestie à l'esbroufe. Un proverbe dit que l'ombre de l'arbre est plus belle que l'arbre lui-même. Au Japon, on apprécie le renoncement, non pas pour le plaisir de souffrir, mais parce que l'on sait que tout se volatilise. C'est une chose que l'on ne peut pas comprendre en Occident. Question d'éducation, de culture : ici, on est incapable de prêter attention à la mousse.

A la mousse ?

La mousse que l'on trouve au pied des arbres, dans les recoins des pierres. Il m'a fallu accepter de me laisser guider dans les jardins pour apprécier un peu de cette beauté fragile cachée dans l'ombre, que l'on peut percevoir au Temple des Mousses, à Kyoto. J'ai été conquis ; je ferai paraître à l'automne un éloge des mousses écrit par Véronique Brindeau. Devant le sentiment du temps qui passe, de l'irrémédiable, « le présent des choses présentes » (saint Augustin) prend au Japon une signification particulière : la simplicité d'un jardin de mousses, d'une herbe modeste et discrète au bord du chemin peut être source inattendue d'émerveillement, comme de nostalgie poignante, parfois de solitude et de résignation. La mousse est l'incarnation même de l'humilité. C'est inné, les Japonais savent lui prêter attention et recevoir ce qu'elle peut transmettre. Tout est question de regard. Si vous faites attention à ce qui compose l'environnement, votre regard est transformé. Dans leur vie quotidienne, les Japonais habitent intégralement l'incompréhension de soi face au monde. C'est la raison pour laquelle ils donnent en ce moment une leçon à la terre entière.

“La violence et l'angoisse des mangas n'est qu'une réponse cathartique à cette fameuse maîtrise de soi.”

Face au mystère de cette nation, les clichés perdurent. On parle beaucoup du matérialisme des Japonais. Certains pays ont même refusé d'envoyer leur aide sous prétexte que c'est un pays riche. La catastrophe ne risque-t-elle pas de renforcer ces oeillères ?

Avec notre tradition de construction romaine conçue pour durer, on ne comprend pas qu'on puisse construire dans la légèreté, dans l'éphémère, et vivre sur une faille... Le matérialisme des Japonais n'a rien à voir avec le nôtre. Leur attachement aux objets, à la futilité apparente, va de pair avec ce sens de l'éphémère. Je vais bientôt publier un livre sur les papiers d'emballage au Japon. Ces papiers rustiques, rugueux, sans éclat, aux couleurs fanées, savamment pliés, dont le seul objectif est d'envelopper, en disent long sur le sens de la simplicité et de l'humilité de ce pays.

Vous avez édité La Submersion du Japon, de Sakyo Komatsu, un classique de la littérature d'anticipation japonaise qui date de 1973, et qui décrit une catastrophe similaire à celle d'aujourd'hui...

Effectivement, ce livre offre un miroir troublant aux événements actuels. La quatrième de couverture de l'édition de poche se termine par cette phrase : « Un roman d'anticipation qui pourrait bien devenir réalité... » Et l'extrait cité parle de lui-même : « Le premier grand cataclysme s'abattit sur la région d'Osaka à 5h11, le 30 avril. A 8h03, la chaîne de montagnes Togakure explosa. Les regards du monde entier étaient fixés sur "la mort du dragon". Des dizaines d'avions appartenant à des télévisions de toutes les nationalités volaient au-dessus de l'archipel du Japon qui crachait du feu et des flammes... » Comme beaucoup de mangas et de romans contemporains japonais, la violence et l'angoisse que véhicule ce livre n'est qu'une réponse cathartique à cette fameuse maîtrise de soi propre à la culture japonaise. Leur désarroi devant la mort est le même que le nôtre, mais ils ont compris que rien ne sert de chercher une solution définitive pour la vaincre. Leur philosophie, c'est de trouver la posture la plus harmonieuse devant l'inéluctable.

On a beaucoup commenté les images du tsunami, allant même jusqu'à les comparer parfois à des scènes de jeu vidéo. Que vous inspirent-elles ?

Je n'ai pas la télévision, je les ai aperçues sur Internet, mais je n'ai pas envie de les voir. C'est le moment de s'interroger sur notre propre regard devant le monde qui s'écroule. Entre le savoir et la sidération, il faut choisir. Il y a quelque chose de malsain dans ces images qu'on regarde presque érotiquement, fasciné, sans voix, dans un ravissement d'effroi. Personnellement, je préfère attendre le filtre de la littérature, qui dira ce qui n'a pas été dit, qui lira entre les lignes.


Photo Olivier Metzger pour Télérama

(1) Les Années douces, Le Temps qui va, le temps qui vient...

(2) Ma mère à toute allure, Barococo.
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mercredi 23 mars 2011

Godzilla et la menace nucléaire


 Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :


“Ce qui me frappe, c’est qu’il y a un refus systématique de dramatiser”

Comment les Japonais résistent-ils à la panique dans leur pays sinistré par un terrible tremblement de terre, un tsunami et désormais sous la menace nucléaire ? Nous avons demandé quelques explications à Jean-Marie Bouissou, spécialiste du Japon contemporain dont la culture populaire évoque en permanence le risque naturel et la place de la science depuis Hiroshima.

Que représente le nucléaire dans l’imaginaire japonais ?
Hiroshima, pour les Japonais, c’est évidemment une horreur, une injustice qu’on leur a fait subir. Mais c’est aussi le châtiment qui a effacé leurs crimes, c’est une nouvelle naissance. Avant sa défaite, dans l’inconscient collectif, le pays était engagé sur la mauvaise voie, il était agressif, mal conduit. Hiroshima aurait en quelque sorte fait table rase du passé et permis aux Japonais de retrouver leur vraie nature, qui n’est pas une nature guerrière, mais pacifique. C’est donc très ambigu.

On s’étonne souvent que le Japon, constitué d’un archipel assez fragile, dont des centaines de milliers d’habitants ont péri à cause de l’arme atomique, ait le troisième parc nucléaire du monde. Mais le mouvement antinucléaire japonais n’a jamais réussi à mobiliser autant que les antinucléaires allemands, par exemple. Cela s’explique par le fait qu’au plus profond d’eux-mêmes, les Japonais se disent qu’ils ont vécu la catastrophe nucléaire, qu’ils y ont survécu, et qu’ils ont même rebondi plus loin encore. Pour eux, le nucléaire n’est donc pas la fin du monde. D’autant qu’ils ne croient pas en la fin du monde, qui n’existe ni dans le bouddhisme, ni dans le shinto. Il y a des catastrophes, qui peuvent être abominables, mais après chaque catastrophe, la vie renaît. Par conséquent, les Japonais, sans forcément aimer le nucléaire, en ont peut-être moins peur que les autres.

Akira

Akira

La culture manga, qui fait souvent référence à un monde post-apocalyptique, s’est construite en réaction à Hiroshima…
La culture populaire d’après-guerre s’est consacrée à gérer le traumatisme de la défaite et de l’holocauste nucléaire. Il y eut d’abord une première génération de mangas post-apocalyptiques représentée par Gen d’Hiroshima, de Keiji Nakazawa, où le traumatisme est géré de manière optimiste. Des adolescents survivent à la destruction et veulent reconstruire un monde où cela n’arrivera plus. Il y a un sens très clair à leur combat ; à la fin, le riz repousse, et les jeunes gens, après bien des épreuves, partent confiants vers l’avenir. Une deuxième génération serait celle d’Akira, de Katsuhiro Otomo, et de Nausicaä de la vallée du vent, de Hayao Miyazaki : ici, le sens est perdu. L’apocalypse, c’est la faute de l’humanité. Les héros ne comprennent pas bien ce qui se passe, ils cherchent juste à survivre en poursuivant des buts très personnels : se venger de quelqu’un, conquérir un cœur… A la fin d’Akira, le monde n’est pas reconstruit – c’est juste une possibilité qu’il le soit ; dans Nausicaä, la leçon est encore plus claire : on ne doit pas reconstruire le monde tel qu’il a été, on doit passer à un stade supérieur.

Enfin, on peut distinguer une vague plus récente, dans les années 2000, avec Larme ultime, de Shin Takahashi, ou Dragon Head, de Mochizuki Minetaro : là, on ne sait plus ce qui se passe, le monde est en cours de destruction, mais on ne sait pas pourquoi, ni qui se bat contre qui. Les héros luttent pour survivre, perdant progressivement courage et confiance et, à la fin, ils meurent. Ces trois générations parlent donc d’Hiroshima de trois manières différentes, et ce qui se passe dans le Nord fait plutôt penser à Dragon Head, où le Japon est en proie à une série de désastres qui le démolissent.

Après la défaite de 1945, le Japon a développé un véritable culte de la science, qui s’incarne, dans les mangas, dans une œuvre comme Astroboy, le petit robot au cœur atomique d’Osamu Tezuka. Les accidents nucléaires, n’est-ce pas l’échec de cette science toute-puissante ?

La relation à la science est extrêmement importante pour les Japonais, puisqu’ils considèrent qu’ils n’ont pas été battus sur le courage, sur la valeur guerrière, mais par la science, et que c’est par elle qu’ils peuvent retrouver la place qui est la leur. La leçon d’Astroboy, c’est qu’il faut apprendre aux jeunes générations à maîtriser la science pour construire un monde pacifique et meilleur. La science est au départ idolâtrée, mais dans des récits plus récents, vers la fin des années 90, elle est devenue dangereuse, car responsable de la pollution du monde, de manipulations génétiques, etc. L’actualité des centrales nucléaires renvoie effectivement à ces nombreuses séries où la nature se venge d’une humanité qui a mal utilisé la science.

Godzilla

Godzilla

On pense aussi à l’une des figures majeures de la culture japonaise moderne, Godzilla : un monstre, qui réveillé par des essais nucléaires, se met à détruire des villes entières sur son passage…
Godzilla représente à la fois les forces brutes de la nature et une mutation engendrée par l’arme atomique. C’est donc encore une revanche de la nature malmenée par une humanité qui manipule ce qu’elle ne connaît pas. De ce point de vue, on peut dire que les Japonais sont préparés à ce qu’ils vivent en ce moment par leur culture populaire. Par conséquent, ils ne considèrent pas que c’est une injustice. Leurs grands-parents l’ont déjà vécu avec la guerre, et eux ils l’ont vu dans les séries télévisées, dans les mangas, dans la littérature… Un des grands succès des années 70, c’est un livre qui s’appelle La Submersion du Japon (Komatsu Sakyo, 1973). Ce roman met en scène toute une série de catastrophes naturelles (tremblements de terre, éruptions volcaniques, tsunamis…) qui détruisent le pays. C’est un best-seller increvable, adapté à la télévision en manga, et encore en 2006 au cinéma.

Quel regard portez-vous sur les images véhiculées depuis vendredi par les médias ?

Ce qui me frappe, c’est qu’il y a un refus systématique de dramatiser. Si vous regardez la foule dans les rues de Tokyo, le premier jour, les gens sont dehors, mais ils sont calmes, ils ne pleurent pas, ils ne courent pas… On voit même des survivants parler à la caméra en souriant ! Les médias s’abstiennent d’en rajouter sur l’horreur, car la seule chose qui compte maintenant, c’est de se serrer les coudes et de se remettre au travail. Lorsque vous voyez le Premier ministre et les tous les ministres qui viennent donner leurs interviews en uniforme de la Sécurité civile, par exemple, c’est un symbole très fort. Nous, cela nous semblerait ridicule que François Fillon vienne en costume de pompier devant les journalistes !

Je pense en tout cas que c’est le pays du monde qui est le plus capable de surmonter ce genre de traumatisme. La reconstruction va prendre des années, c’est très clair. Mais Kobe, qui avait terriblement souffert en 1995, était 10 ans plus tard une ville plus belle que jamais. On peut penser qu’il ne faudra que quelques années aux régions dévastées pour être à nouveau recouvertes d’infrastructures refaites à neuf.
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Propos recueillis par Thomas Bécard Le 22 mars 2011 à 14h00

Jean-Marie Bouissou est notamment auteur de Manga, Histoire et univers de la bande dessinée japonaise (Editions Philippe Picquier, 2010, 416 p) et a dirigé l’ouvrage Le Japon contemporain, (CERI/Fayard, 2007, 613 p)

Japon : quelles réponses au défi ?


Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :

e l'envoyé spécial de l'Express Marc Epstein publié le 23/03/2011


D'une hauteur aujourd'hui estimée par les scientifiques japonais à 23 mètres,le tsunami a submergé plus de 400 kilomètres carrés de côtes.

Reuters/Aly Song
Un séisme, un tsunami, une crise nucléaire: l'archipel se trouve confronté à une tragédie dont il sortira transformé. Malgré une démographie déclinante et une élite politique défaillante, ses habitants sauront-ils puiser en eux la force d'une renaissance?


La vue était belle des fenêtres de l'hospice Sea Side, ouvert il y a sept ans et financé par l'Assistance publique japonaise. En tout, 97 pensionnaires, aux moyens souvent limités, terminaient leurs jours dans cette résidence médicalisée bâtie un peu à l'écart de Yamada, sur la côte nord-est de l'archipel. De leurs chambres, ils pouvaient admirer l'océan et une jolie baie, bordée de pins. Une digue haute de 6 mètres devait les prémunir contre le danger, au cas où un tsunami se produirait dans cette partie relativement abritée de la côte. La baie elle-même devait assurer la meilleure des protections. Afin de ne prendre aucun risque, on avait construit le bâtiment en retrait de la rive, à 20 mètres environ au-dessus du niveau de la mer.

Le 11 mars, cependant, l'impensable s'est produit. Encore sous le choc, une employée des lieux raconte: "Vers 14 h 50, le tremblement de terre a été d'une telle intensité que nous avons tout de suite pensé, en entendant sonner l'alerte au tsunami, quelques minutes plus tard, que la vague serait grosse." Mais il n'y avait en principe rien à craindre.


Japon, le terrible défi

Quand une première vague surgit, elle est très importante, certes, mais loin en dessous de la résidence. Puis, soudain, la mer enfle; l'eau monte, et monte encore, sans doute sous l'effet des courants puissants dans cette partie de la côte, proche d'une péninsule. "Tout s'est passé très vite, reprend la jeune femme. Nous avons installé à la hâte les personnes âgées les plus valides dans des chaises roulantes. Et on a couru, en les poussant, le long d'un chemin de terre, sur le flanc de cette montagne, là, juste à côté."
L'impossible bilan


Le séisme et le tsunami ont fait 9.079 morts et 12.645 disparus, selon un bilan provisoire diffusé le 22 mars, soit dix jours après la catastrophe. Les chiffres augmentent sans cesse, car de nombreux cadavres restent à dégager des décombres, tandis que d'autres ont été happés par les flots : une semaine après qu'une vague déferlante a rasé sa ville, le corps du maire d'Otsuchi a été retrouvé sur une plage située à 200 kilomètres de sa localité.

Son récit s'arrête là, car elle ne peut plus parler. Mais il suffit de regarder l'hospice pour comprendre. Emportés par le courant, des bateaux et des voitures entières ont défoncé les fenêtres, d'abord au rez-de-chaussée, puis au premier étage. L'eau s'est engouffrée partout. Les patients couchés, trop faibles pour se lever, l'ont sans doute vue monter, avant que le courant les emporte à leur tour.

Un bateau encastré dans la salle d'auscultation

Aujourd'hui, les noms des anciens pensionnaires restent inscrits au mur à l'emplacement où, il y a encore quelques jours, se trouvait leur lit. Des algues recouvrent les tables de chevet. Un bateau s'est encastré dans l'ancienne salle d'auscultation, où des rideaux flottent au vent. Une chaise roulante est accrochée à l'amas de tôle qui entoure désormais la porte d'entrée. Le toit, même, est couvert de quatre ou cinq voitures.
Pêcheur miraculé

Sugeru Suzuki est un jeune retraité au regard qui pétille. Il était parti seul en mer, le 11 mars, quand il a senti aux vibrations de son bateau qu'un tremblement de terre venait de se produire. En bon pêcheur, il savait qu'un tsunami risquait de se former ; afin de ne pas mourir écrasé sous la vague, qui enfle toujours à l'approche des côtes, il devait au contraire fuir vers la haute mer. Son sang-froid lui a sauvé la vie : "J'ai vu arriver une sorte de rivière, en plein milieu de l'océan, qui m'a semblé haute de plusieurs dizaines de mètres. A environ 3 kilomètres de la côte, le bateau s'est lentement soulevé, puis il est redescendu, avant de se redresser, et ainsi de suite à cinq ou six reprises."

Quatre heures plus tard, dans son village de Honsho, largement détruit par le tsunami, Sugeru a été accueilli en héros. L'un de ses amis pêcheurs, qui se trouvait aussi en mer, n'a pas eu sa chance ; son cadavre est resté accroché dans un arbre, à 10 ou 15 mètres de hauteur, plusieurs jours durant. Les habitants ne parvenaient pas à le descendre.

M. E.

Les employées de l'hospice reviennent chaque jour sur les lieux, sans bouger, toujours sidérées par le spectacle de cet amas infernal, en ces lieux où leur tâche était d'apporter du réconfort et une douceur bienveillante. Elles regardent, sans parler. Et tentent, sans doute, de se réveiller du cauchemar qu'elles ne parviennent toujours pas à assimiler à un épisode réel de leurs propres vies. "Sur 97 pensionnaires, dit l'une d'elles, d'une voix à peine audible, seuls 22 ont été sauvés." Tous les autres ont été emportés par la mer.

Le Japon a traversé de nombreuses épreuves, ces dernières années. Mais rien ne pouvait le préparer au séisme de magnitude 9 sur l'échelle de Richter qui, le 11 mars, a rayé de la carte d'innombrables villes côtières dans le nord-est du Honshu, île principale de l'archipel. En dégageant une énergie équivalente à 30 000 fois Hiroshima, le tremblement de terre a provoqué un tsunami d'une ampleur monstrueuse.

Estimé à au moins 20 000, le nombre des morts et des disparus ne cesse de croître (voir ci-dessus) tandis qu'un demi-million de sans-abri sont logés à titre temporaire dans des centres d'accueil, où beaucoup grelottent sous l'effet d'une vague de froid.

Dix jours après la catastrophe, en effet, l'électricité commençait tout juste à être restaurée. Le rationnement de l'essence et la pénurie des denrées alimentaires ajoutaient à l'atmosphère de crise: "Il nous reste assez de nourriture pour tenir encore trois jours", confie Madoka Takami, une jeune femme d'Ofunato, ville entièrement détruite, ou presque. "Et encore, ajoute-t-elle, on fait attention à ne pas trop consommer." Dans les magasins, les étagères sont vides.

Accourus de tout le pays mais aussi de l'étranger, les services d'urgence sont débordés. Surtout, ils oeuvrent dans l'ombre d'une troisième catastrophe, dont les effets risquent d'être plus durables. Et planétaires, peut-être.

Hors de contrôle

Car la centrale nucléaire de Fukushima restait hors de contrôle en début de semaine. Des taux de radioactivité, faibles mais inhabituels, ont été relevés en plusieurs endroits ainsi que dans la chaîne alimentaire. Surtout, dans la région de Tokyo (35 millions d'habitants), des traces d'éléments radioactifs ont été décelées dans l'eau du robinet. Des éléments radioactifs ont aussi été détectés, le 20 mars, à Taïwan, sur des fèves importées de l'archipel. Une psychose s'est emparée de nombreux étrangers, en particulier, qui ont quitté le pays en nombre, souvent avec l'aide de leurs ambassades respectives ou de leurs employeurs.

Les Japonais de Tokyo ont semblé plus sereins, mais cela pourrait ne pas durer: "Nous connaissons la menace des séismes et des tsunamis, rappelle Simiho Takahashi, directeur d'une école primaire transformée en centre d'accueil pour les réfugiés. L'atome, c'est un phénomène différent, produit par l'homme : on ne le voit pas, on ne sait pas ce que c'est, au fond, et la contamination peut durer longtemps."
Japon, le terrible défi

Malgré la neige, ce couple de personnes âgées apporte des vivres à des parents touchés par le tsunami à Minamisanriku.

REUTERS/Kyodo

Répercussions mondiales

A la télévision, les porte-parole du gouvernement et les représentants de la compagnie exploitante de la centrale multiplient, depuis le début de la crise, les interventions rassurantes, au risque d'être démentis par les faits, parfois dans les heures qui suivent. "Les niveaux actuels de contamination ne présentent aucun risque pour la santé", affirmait, le 20 mars, un membre du cabinet du Premier ministre. Comment ne pas le croire?... Si la situation devait se dégrader, nul doute que les répercussions seraient mondiales. Déjà, l'Allemagne a annoncé la fermeture des sept réacteurs nucléaires les plus anciens du pays, la Chine a suspendu le lancement de nouvelles centrales et la Thaïlande envisage d'en faire autant.

Des ruptures historiques qui ouvrent d'autres ères

Le séisme, le tsunami et la crise nucléaire transformeront le Japon. Mais comment? Le pays a souvent semblé renforcé par l'adversité. A Tokyo, le tremblement de terre, en 1923 (entre 100 000 et 130 000 morts), et celui de Kobe, en 1995, apparaissent a posteriori comme des ruptures historiques qui ont ouvert d'autres ères. Même les destructions massives de la Seconde Guerre mondiale ont précédé quatre décennies de croissance et d'innovation extraordinaires.
A la grâce des dieux

Les prêtres shintoïstes du sanctuaire Kasuga Taisha, à Nara, l'une des anciennes capitales du Japon, située dans le centre du pays, se sont attaqués à une tâche ardue : réciter 10 000 fois la prière de purification et implorer les kami (divinités) afin qu'elles aident l'archipel à se reconstruire. L'affaire est d'importance même si, pour beaucoup de Nippons, la catastrophe du Tohoku (région du nord-est) est d'une telle ampleur qu'elle n'a plus rien à voir avec le divin.

La preuve, le gouverneur de Tokyo, Shintaro Ishihara, a dû s'excuser après avoir évoqué le 14 mars une colère des dieux pour expliquer la tragédie. Est-ce à dire que le religieux n'a pas sa place pour soigner les âmes nipponnes meurtries ? Sans doute pas. Comme après le séisme de Kobe de 1995, les organisations religieuses shintoïstes, bouddhistes et chrétiennes auront un rôle à jouer. Mais il n'est pas dans les habitudes japonaises de solliciter un soutien spirituel auprès des religieux. Une telle fonction revient plutôt au corps social.

Alors les prêtres pourront multiplier les cérémonies et séances de prière, prévoir de dresser des sanctuaires et des autels dans les zones ravagées, afin de calmer les divinités. Ce ne sera pas de trop. Pour le réconfort, cependant, la communauté humaine restera le plus important.

Demain, cependant, il n'est pas certain que l'archipel soit aussi bien équipé pour se réinventer. A court terme, la baisse de la production d'énergie et la désorganisation des transports affecteront l'économie. Au-delà, le pays souffrira de son leadership politique désespérément inepte et du déclin démographique, amorcé depuis plus de cinq ans, et qui aboutit au vieillissement inexorable de sa population. A moins que la planche de salut ne soit là, précisément.

La génération qui a connu la guerre et les privations, à l'origine du bond économique de l'archipel dans les années 1950-1980, juge avec sévérité le consumérisme aveugle et le gaspillage de ses cadets. On estime qu'en un an, par exemple, le pays jetterait la même quantité de produits alimentaires que celle consommée, pendant ce temps-là, dans l'ensemble du continent africain.

Le secteur du bâtiment, où la pègre reste active, tarde à adopter des normes d'isolation efficaces dans le logement. Même les pêches à la baleine et au thon rouge participent de cette logique: de nombreux Japonais agissent comme si les ressources naturelles étaient illimitées. Les personnes âgées, a contrario, gardent pour habitude de recycler les feuilles de thé, une fois séchées, afin de balayer le sol de leur maison et réparent leurs objets quotidiens avant de les jeter... S'il renoue avec ses propres traditions de frugalité, s'il développe une vraie sensibilité aux thèmes de l'environnement et aux économies d'énergie, le pays, fort de ses laboratoires de recherche et de ses capacités d'innovation, ne manquera pas d'atouts. La première voiture hybride produite en série a été l'œuvre de Toyota.

Le grand sanctuaire d'Ise est le site shintoïste le plus vénéré du Japon. Son culte est étroitement lié à la famille impériale, au point que ses membres, et eux seuls, peuvent y devenir prêtres. Fondé il y a mille cinq cents ans, il appartient aux traditions les plus anciennes du pays. Mais ses bâtiments sont récents. Tous les vingt ans, les structures en cèdre rouge et en chaume sont rituellement détruites, puis reconstruites à l'identique. Le sanctuaire se réinvente lui-même. Comme la Nature. Et le Japon lui-même. Dans l'archipel, la fugacité est une tradition bien établie.

vendredi 18 mars 2011

«Les Japonais sont fatalistes par nécessité»

 

 Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :

D'après le Figaro.fr / Véronique Grousset / 18/03/2011

À la fois sociologue et directeur du réseau Asie au CNRS, Jean-François Sabouret analyse les ressorts de l'incroyable courage du peuple japonais face au désastre qui le frappe.
Le Figaro Magazine - Le sang-froid des Japonais a étonné le monde entier. L'habitude qu'ils ont des tremblements de terre suffit-elle à l'expliquer?

Jean-François Sabouret - Il n'y a pas que les tremblements de terre ! Le Japon est un territoire massivement hostile, couvert à 80 % par des montagnes, où l'on ne peut vivre que sur 20 % d'une surface soumise aux typhons et aux tsunamis, balayée par la neige, le vent, la pluie. Une terre instable. Pas même un bateau : un rafiot. Mais ce rafiot, c'est le leur. Les Japonais n'en ont pas d'autre. Ils ont bien essayé de se lancer dans des aventures coloniales, en Chine et en Corée, au début du XXe siècle, mais vous en connaissez l'issue. Cette terre, ils n'ont qu'elle pour vivre, et pas d'autre ressource que de se relever.

Il y a quand même de quoi paniquer. N'y a-t-il vraiment pas d'autre explication, spirituelle ou culturelle, à tant de dignité - ou tant de fatalisme - face au malheur?

Le Japon est le pays de la conscience du ukiyo, ce monde flottant que l'on retrouve dans les estampes, les fameuses ukiyo-e dépeignant la vie des quartiers de plaisir, celle du plus grand luxe et de la chute qui guette. La beauté, sous toutes ses formes, est fragile, éphémère. C'est cette culture, fortement imprégnée de bouddhisme, qui s'exprime aussi dans les haïkus: le monde est souffrance et l'on ne peut y progresser que dans une autre dimension, celle du non-désir. Mais une telle culture est impossible à cerner de façon rapide et on aurait tort de croire en un prétendu «stoïcisme» d'une société perçue comme vaguement «crypto-militaire»: les Japonais souffrent et pleurent quand ils découvrent le corps d'un proche, n'en doutez pas !

Leur calme relève-t-il en partie de la discipline collective? Piquer une crise de nerfs pendant un séisme, est-ce «socialement incorrect»?

Oui et non, cela existe. Mais ça ne sert à rien. Se plaindre contre le ciel, invectiver les dieux ? Peu de Japonais s'en remettent à de telles croyances. Il n'y a pas de « père tout-puissant » dans leur panthéon. La mère nature est une marâtre, et ils le savent. Ils pratiquent donc une forme de fatalisme actif.

On imagine pourtant que la menace nucléaire doit les angoisser tout particulièrement. Mais on ne les voit pas se ruer vers les aéroports ou sur les routes. Comment l'expliquez-vous?

Certains sont partis vers le sud, mais pas beaucoup. Si demain la centrale explose, si le vent souffle vers le sud, où pourraient-ils aller de toute façon? Tokyo et sa périphérie abritent 42 millions d'habitants. La plaine du Kantô, coincée entre mer et montagnes, est une nasse: tout le monde le sait.

Vos enfants, qui sont nés là-bas, partagent-ils ce «pessimisme actif»?

Oui, je crois qu'ils ont cette conviction d'habiter un monde fragile où l'important, c'est d'agir, plutôt que d'accumuler des biens matériels. Au Japon, les biens de ce monde n'ont qu'une valeur relative, puisque les séismes - répétés plusieurs dizaines de fois par an - obligent à reconstruire en moyenne tous les trente ans. On peut y investir sur un lopin de terre, mais pas sur une maison qui, loin de représenter l'espoir d'une plus-value, commence au contraire à subir une décote dès le lendemain du jour où on l'achète. Mes deux plus jeunes enfants, qui sont nés là-bas, et mon aîné, qui y est arrivé lorsqu'il avait 5 ans et qui en a maintenant 43, comprennent cet état d'esprit, tel que le résume ce proverbe local: «Supporter l'insupportable, c'est là où réside la vraie patience.»

N'y a-t-il pas tout de même un risque que les Japonais se fâchent en s'apercevant, a posteriori, que leur gouvernement leur a menti sur la menace nucléaire?

C'est possible, mais je ne le pense pas. Le nucléaire n'est pas un choix pour eux. La culture japonaise traditionnelle est très proche et respectueuse de la nature; mais sans pétrole, sans gaz et plus de charbon, comment voulez-vous faire? Le Japon n'est pas la Chine : on ne peut pas y construire un barrage des Trois-Gorges (qui lui-même est très dangereux) sur un fleuve de la taille du Yang-Tsé. Même en cas d'accident majeur, cela ne veut pas dire que demain, les Japonais seront contre le nucléaire.-

Dernier ouvrage paru: Japon. La fabrique des futurs, Editions du CNRS, 78p., 4€.

jeudi 17 mars 2011

Ne pas regarder le risque !


 Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :


Explosion à la centrale nucléaire de Fukushima


Catastrophe nucléaire de Fukushima : les mensonges à répétition de Tepco

Extrait de Post.fr le 28/03/2011

Panique puis confusion !

Comme l'annonce 20minutes.fr : "L'exploitant de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, au Japon, a annoncé dimanche que le niveau élevé de radioactivité enregistré plus tôt dans la journée au niveau du réacteur n°2 était erroné. Tepco avait indiqué tôt dimanche que le niveau de radioactivité dans l'eau qui s'est accumulée dans la salle des turbines du réacteur était dix millions de fois supérieure au niveau habituel."

Ce raté énorme ne cache-t-il pas un nouveau mensonge, comme il y en a eu déjà dans cette histoire ? Ce manque de transparence entretient la méfiance de la population...


Rappelons les précédents mensonges et les irrégularités dévoilées au sujet de la centrale, décrites dans cet article du Monde : "Le 7 février, un mois avant le séisme et le tsunami qui ont endommagé la centrale nucléaire de Fukushima, l'agence de régulation nucléaire japonaise a autorisé le maintien pendant 10 années supplémentaires du plus ancien des six réacteurs de la centrale, malgré des avertissements concernant sa sécurité, a révélé lundi 21 mars le New York Times."

Autre fait curieux, relaté par 20minutes.fr le 17 mars dernier dans un petit article intitulé "Japon : Catastrophe nucléaire de Fukushima: Une employée de la centrale témoigne " : une ingénieure de la centrale de Fukushima, Michiko Otsuki, s’est exprimée sur Mixi (équivalent japonais de Facebook), après avoir été évacuée du site lundi, désirant parler au nom de ses 180 collègues "sacrifiés" qui travaillent encore au sein de la centrale nucléaire afin d’en refroidir les réacteurs : Elle dit au passage que le système de refroidissement de la centrale avait été détruit : "La machine qui refroidit le réacteur est en bordure de l’océan et a été détruite par le tsunami. Tout le monde a travaillé désespérément pour essayer de le faire fonctionner à nouveau malgré la fatigue et le ventre vide". Son billet a été très vite supprimé, avec pour explication qu'il risquait d'entretenir la panique.

On nous fait croire pourtant que en rétablissant le courant on allait essayer de faire repartir le système de refroidissement, tout en arrosant à l'eau de mer en attendant. Or le 23 mars, comme l'annonce cet article du Monde intitulé "Fukushima : le refroidissement de la centrale pourrait prendre "plusieurs semaines"": "l'utilisation d'eau de mer, inadaptée au refroidissement, pose problème. Pour l'IRSN, "la présence de sel dans l'eau injectée pourrait altérer le refroidissement du combustible à très court terme. Il y a risque de cristallisation du sel injecté avec l'eau de mer dans les cuves des réacteurs". L'institut recommande l'approvisionnement de la centrale en eau douce." On nous explique que l'eau de mer est corrosive et endommage les circuits de refroidissement, qu'il faut passer à l'eau douce."

Or les ingénieurs devaient bien savoir que l'eau de mer était corrosive... A moins que cela corrobore le fait que les circuits de refroidissement étaient de toute façon "out", donc l'endommager avec de l'eau de mer n'y changeait rien. Sauf qu'elle sera le prétexte, l'excuse, l'alibi pour justifier que l'endommagement des circuits aura été causé par cette eau de mer, pour cacher un mensonge, à savoir que l'on savait qu'ils étaient déjà détruits...

Jacques Dutronc avait raison "on nous cache tout, on nous dit rien ..."


Selon l'Expansion.fr - publié le 21/03/2011
Par Julie de la Brosse

De Tepco à General Electrics en passant par Areva... plusieurs entreprises ayant participé à la construction et à l'exploitation de la centrale de Fukushima sont mises en cause.

Aurait-on pu éviter l'accident de Fukushima ? Aujourd'hui, le Tsunami reste le responsable officiel de la catastrophe nucléaire japonaise. Mais depuis quelques jours, alors que la situation sur place n'est toujours pas résolue, l'examen des responsabilités révèle des failles dans les systèmes de sécurité des différents acteurs du nucléaire...

Tepco, le spécialiste des scandales

Tepco surtout, l'exploitant japonais de la centrale, est sur la sellette. Ce lundi, des informations ont révélé que quelques jours avant le drame, l'opérateur avait remis un document aux autorités dans lequel il reconnaissait avoir faussé les données des registres de contrôle. D'après ce document en date du 2 mars, soit neuf jours avant le séisme, Tepco n'a pas procédé à des inspections normalement prévues. Des équipements essentiels comme des groupes électrogènes, des pompes et d'autres parties des systèmes de refroidissement n'ont pas été examinés comme ils auraient dû l'être. Si, selon l'agence de sûreté nucléaire japonaise, le lien entre les accidents et ces manquements n'est pas établi, cela ne fait que renforcer la pression sur la compagnie d'électricité tokyoïte, déjà habituée aux controverses.

De fait, l'EDF japonais n'en est pas à son premier scandale. A plusieurs reprises, l'électricien a été épinglé pour avoir dissimulé ou sous-estimé des incidents antérieurs. En 2002 notamment, Tepco doit stopper temporairement ses 17 réacteurs nucléaires à eau bouillante (BWR), pour avoir maquillé une trentaine de rapports d'inspection faisant état de fissures ou de corrosion sur les enveloppes entourant les réacteurs. Parmi ceux-ci figuraient déjà ceux de Fukushima... Plusieurs réacteurs sont alors fermés et la direction contrainte de démissionner. Entre 2006 et 2007, plusieurs autres falsifications sont encore révélées, jetant à nouveau trouble sur les pratiques de l'exploitant.

Aujourd'hui, Tepco est aussi critiqué pour sa gestion calamiteuse de la crise. Certains reprochent au groupe d'avoir attendu 24h pour asperger ses réacteurs d'eau de mer. Les retards pris dans l'annonce des incidents à répétition, les communiqués incompréhensibles et les multiples questions restées sans réponse ont même fini par faire réagir le gouvernement nippon. Quant au PDG du géant nucléaire, il a disparu de la circulation, laissant s'exprimer son bras droit. A aucun moment, il n'a daigné se rendre sur place, à la centrale de Fukushima.

General Electrics, le constructeur immunisé

Le constructeur des centrales, General Electrics, lui non plus n'échappe pas aux critiques. Le groupe américain a livré 3 des 6 réacteurs de Fukushima entre 1967 et 1973. Or, selon la presse américaine, ce système de réacteurs à eau bouillante, dits "Mark 1", a fait par le passé l'objet de plusieurs avertissements très sérieux concernant la fiabilité des réacteurs. Dès 1972, un représentant de la Commission de l'énergie atomique américaine, Stephen Hanauer, avait prôné son interdiction. Ce dernier envisageait précisément le scénario qui s'est produit à Fukushima : panne des circuits de refroidissement, surchauffe, formation d'hydrogène, pression, explosion... A l'époque, un autre expert de la Nuclear Regulatory Commission, Harold Denton, avait estimé à 90 % le risque d'explosion du système Mark 1 en cas de surchauffe liée à un accident. Plus récemment, un ancien ingénieur de GE, Dale Bridenbaugh, révélait à l'agence Reuters avoir démissionné il y a trente-cinq ans à la suite de ses doutes sur la fiabilité du système Mark 1. Depuis la centrale de Fukushima aurait été adaptée pour remédier à ces failles.

Chez General Electrics, en tous cas, on continue de défendre âprement la sécurité des Mark 1. Aujourd'hui, 32 installations de ce type fonctionnent dans le monde, sans qu'aucun accident ne se soit jamais produit, insiste le groupe. Quoi qu'il en soit, le constructeur américain ne craint pas grand-chose dans la catastrophe de Fukushima : dans législation japonaise, la responsabilité en cas d'accident nucléaire pèse quasi-exclusivement sur l'exploitant de la centrale.
La négligence des autorités japonaises

Les autorités de contrôle du nucléaire et le gouvernement japonais font bien sûr l'objet de toutes les attentions. Il est notamment reproché à l'inspectorat japonais de la sécurité (le NISA) de ne pas avoir prévu de sources électriques d'appoint en cas d'accident. Et d'avoir particulièrement mal informé japonais des risques qu'ils encouraient. Quant au gouvernement, il aurait été avertit dès 2008 des risques pesant sur ses centrales. Selon un câble WikiLeaks, l'AIEA aurait à cette époque prévenu le Japon que ses normes antisismiques étaient périmées, et que ses réacteurs n'étaient conçus que pour résister à des séismes d'une magnitude de 7 sur l'échelle de Richter (contre 9 pour le séisme du 11 mars). L'avertissement ne sera pourtant jamais entendu.

Areva, le fournisseur de produits dangereux ?

L'entreprise n'a a priori rien à voir avec la catastrophe de Fukushima. Et pourtant, depuis l'explosion de la centrale, les associations anti-nucléaires mettent en cause la responsabilité d'Areva dans ce terrible accident. Le groupe français livre à la centrale japonaise, du combustible retraité, appelé Mox. Fabriqué à partir de plutonium (6 à 7%), issu de combustible usés sortant des centrales nucléaires, et d'uranium appauvri, ce combustible serait, selon les anti-nucléaires, d'une toxicité redoutable. Beaucoup plus dangereuse en tous cas que le combustible classique (quasiment uniquement composé d'uranium). Depuis plusieurs années maintenant, l'association Greenpeace préconise d'ailleurs de renoncer au MOX dans les réacteurs de Fukushima. De quoi faire frémir le groupe nucléaire français, selon qui une quarantaine de réacteurs dans le monde fonctionnent avec du MOX.

Selon Le Point.fr - Publié le 17/03/2011
Par Michel Colomès

Un ingénieur qui avait participé à la construction des réacteurs de la centrale de Fukushima avait décelé une faiblesse dans l'enceinte de confinement.

Fukushima, les fausses certitudes de l'EDF japjavascript:void(0)onais
Les réacteurs n°3 et 4 de Fukushima, photographiés mercredi 16 mars © Tepco


Tepco, compagnie japonaise qui exploite le site nucléaire de Fukushima, savait depuis 35 ans qu'il y avait des risques accrus en cas de problème de chaleur excessive sur certains des réacteurs de sa centrale. C'est un des ingénieurs de General Electric, responsable de sa mise en oeuvre en 1960, Dale G. Bridenbaugh, qui avait décelé cette faiblesse. Le géant américain General Electric est à la fois le concepteur et le constructeur de ce type d'installation baptisé Mark 1. Cinq des six réacteurs de Fukushima sont de type Mark 1. Vingt-trois des cent cinq réacteurs des États-Unis, dont celui d'Oyster Creek, dans le New Jersey, et de Nine Mile Point, dans l'État de New York, le sont également.

Bridenbaugh s'était aperçu que les Mark 1 avaient deux types de problèmes liés à leur conception : l'un, relativement mineur, concerne le stockage des barres d'uranium utilisées ; l'autre, infiniment plus grave, est la relative fragilité de l'enveloppe de l'enceinte de confinement, la "cocotte-minute" qui renferme le réacteur.

Démission

L'ingénieur avait fait un rapport à ses supérieurs de General Electric en leur précisant qu'en cas de surchauffe brutale du coeur du réacteur, l'enceinte de confinement était susceptible de subir des dommages tels que son étanchéité n'y résisterait pas. C'est exactement ce qui s'est passé dans le réacteur n° 2 de Fukushima après que le monstrueux tsunami, et non le tremblement de terre dont il était la conséquence, eut endommagé, en les noyant, les pompes qui permettaient de refroidir le coeur en lui fournissant la quantité d'eau dont il avait besoin pour l'empêcher d'entrer en fusion. C'est, à ce jour, la seule enceinte qui a été endommagée et a perdu son étanchéité.

C'est Bridenbaugh lui-même qui a révélé cet accident annoncé, lors d'une émission de la chaîne de télévision ABC. Il a précisé que, faute de pouvoir convaincre ses supérieurs, il avait préféré, à l'époque, démissionner, pour ne pas avoir à cautionner ce qui lui paraissait inéluctable, à un moment ou à un autre.

Interrogé par ABC, General Electric a refusé d'apparaître dans l'émission, mais a répondu par mail qu'il avait, depuis que les réacteurs étaient en service, fait plusieurs modifications et renforcé le cercueil en acier qui protège le coeur du réacteur. Le porte-parole de la compagnie, Michael Tetuan, a même eu ce mot : "Ce réacteur est pour nous tellement sûr et rustique que nous le considérons comme notre cheval de trait industriel.Même les chevaux de trait peuvent avoir leur faiblesse devant le tsunami du siècle.