mardi 3 janvier 2012

Le blog de Han Han : changer le peuple !


La révolution en Chine ? Bof, répond le blogueur super-star

Le blogueur-écrivain Han Han, en juillet 2010.
LEMONDE.FR | 30.12.11 | 

Le blogueur-écrivain Han Han, en juillet 2010.AFP/MIKE CLARKE
Après avoir longtemps tourné autour du pot, le blogueur le plus lu de Chine s'est finalement emparé de la question entre toutes les questions dans son pays, celle de la liberté et du régime politique. Pas en critiquant telle bourde d'un officiel ou telle maladresse des censeurs. Cette fois-ci, Han Han, le pilote de rallye, séducteur, réputé pour sa plume acerbe et accessoirement égérie des spots de pubs chinois de Nescafé, met les pieds dans le plat en trois "posts" publiés autour de Noël – De la démocratie, De la révolution, La quête de la liberté. (Leur traduction en anglais sur le blog East West North South)
Or les révolutionnaires seront bien déçus. Faut-il casser la baraque du Parti ? Que les Chinois se soulèvent, s'inspirant des peuples arabes qui depuis un an ont pris la rue pour s'extirper de l'autoritarisme ? Bof, Han Han n'y croit pas vraiment. Comme beaucoup de jeunes chinois ? Peut-être. Ceux qui voyaient en lui le critique qui, sans être un grand dissident, allait réveiller l'instinct rebelle des Chinois, peuvent aller surfer ailleurs.
Alors que les "les incidents de masse" se sont multipliés récemment dans le pays, la star shanghaïenne de 29 ans pense-t-elle que la Chine a besoin d'une révolution ? "La révolution n'est probablement pas la meilleure solution pour la Chine", répond Han Han. Les injustices tombant souvent sur les autres, il serait dur à ses yeux deconvaincre les Chinois d'aller requérir justice et liberté pour autrui. A ses yeux, l'essentiel des Chinois ont le sentiment d'une certaine liberté, "à part certains journalistes et artistes ". Quant aux paysans et ouvriers qui se soulèvent ces derniers temps, "ils se saisissent des grands mots de démocratie et de liberté uniquement lorsque la malchance leur tombe dessus et qu'il faut pétitionner en leur faveur".
"LA RÉFORME EST LA MEILLEURE RÉPONSE"
Même si l'étincelle prenait, le leader révolutionnaire serait très probablement dictatorial, présomptueux et égoïste, poursuit le blogueur : "oui, cela sonne familier mais les Chinois en pincent pour ce genre-là. La société est accoutumée à voir le vilain prendre la barre et les bonnes gens se faire massacrer." Après cinq ou dix ans de vide et de guerre civile, Han Han prédit qu'ils préféreront "rentrer lire leQuotidien du Peuple", l'organe du PCC.
Han Han liste ensuite les barrières au grand soir. A la différence de la Libye ou de l'Egypte, aucun individu spécifique n'est la cible du mécontentement populaire. Les villes sont multiples, la population immense. Toutes sortes de désastres extraordinaires s'y sont déjà produits par le passé de sorte que, "le point G du peuple est insensibilisé".
Même pour une plus pacifique révolution de velours, Han Han est sceptique. "Sefrustrer à rêver de démocratie ou de liberté dans nos salles d'étude ne sert à rien. La réforme est la meilleure réponse". Il propose de se pencher d'abord sur la société plus que sur le sort à réserver au PCC : "Le Parti communiste est juste un nom. Le système est juste un nom. Si nous changeons le peuple, tout change. C'est pourquoi il est plus important de rechercher l'amélioration. L'état de droit, l'éducation, la culture... Voila l'essentiel." Si tant est que le Parti puisse apprécier un message de Han Han, il appréciera le ton conciliant de celui-ci.
L'écrivain n'en tire par moins la ficelle sur quelques sujets qui, de longue date, lui sont chers. S'adressant à ce PCC omni-présent : "Vous pensez que l'effondrement de la Russie soviétique fut largement dû à l'ouverture par Gorbatchev de la presse et au choix de suivre la Constitution pour rendre aux délégués du peuple les pouvoirs détenus par le Parti. C'est pourquoi la presse et les libertés constitutionnelles sont particulièrement sensibles."
Pourtant, prévient Han Han, "les temps ont changé. Les moyens de communication modernes ont rendu la censure obsolète. Le contrôle des activités culturelles rend absolument impossible pour la Chine d'influencer le cinéma ou la littérature à travers le monde et pour les cultureux de mon genre de relever fièrement la tête."
Mais le voici prêt au compromis. S'il demande aux autorités d'ouvrir les vannes dusavoir pour cette nouvelle année, il s'engage en contrepartie à ne pas régler de vieilles affaires : "Je ne discuterai pas des questions historiques sensibles, je regarderai en avant, je ne critiquerai pas les dirigeants ou leurs familles et leurs intérêts."
QU'EST DEVENU LE MAUVAIS GARÇON ?
Ce ton suscite un large débat sur Sina Weibo, la plateforme de micro-blogs la plus populaire. Certains s'interrogent sur ce qu'il est advenu du mauvais garçon qu'était Han Han. Se met-il à l'abri pour construire sa famille ? Cherche-t-il à regagner en popularité alors qu'il a refusé le virage des micro-blogs sur lesquels s'est précipitée la jeunesse chinoise depuis deux ans ?
Les prises de position de ce personnage en vue ont le mérite d'ouvrir le débat sur ce sujet des plus tabous. Un internaute surnommé Nuage Blanc répond que la Chine actuelle, "ce n'est certainement pas la démocratie ni la liberté, mais tant que c'est mieux que par le passé..." Un autre pense au contraire : "Il faut espérer une révolution non-violente et mettre assez de pression sur le gouvernement pour qu'il se réforme." Un autre : "Taïwan a bien plusieurs partis, c'est que la démocratie est atteignable."
L'artiste Ai Weiwei, bien plus radical dans sa critique de l'Etat-Parti, accuse Han de s'être "rendu volontairement" et juge ses propos dignes du Global Times, journal acquis au gouvernement. Fang Zhouzi, un blogueur engagé, accuse Han d'êtrepassé du côté des "Wu Mao", ces internautes rémunérés à la ligne pour leurs contributions favorables aux autorités. "Han, bienvenue dans le camp des contre-révolutionnaires", lance encore un autre.
Quant à Wang Xiaodong, dont le pamphlet ultra-nationaliste La Chine mécontente fitcouler beaucoup d'encre en 2009, il s'insurge contre un "racisme contre soi-même"dans la notion que les Chinois n'ont pas les qualités requises pour la révolution.
Au cœur du débat se pose la question du compromis avec un Parti connu pour son intransigeance. Wuyue Sanren, un commentateur médiatique, s'insurge contre ceux qui "parlent uniquement de comment les choses devraient être sans quête d'un compromis raisonnable". Mais l'homme d'affaires Bei Zhicheng rétorque que le risque est de laisser le pouvoir "faire passer les réformateurs pour des révolutionnaires". Et qu'ainsi rien ne bouge.
(D'autres commentaires sur les trois essais de Han Han sur Global Voices)
Harold Thibault

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