mardi 16 octobre 2012

La Chine jalouse de la créativité des Coréens


repris de  http://www.atlantico.fr/decryptage/

La Corée est-elle supérieure à la Chine en terme de création et d'exportation de produits culturels ? Une série d'articles d'opinion s'est récemment penchée sur le phénomène coréen du Gangnam style... du point de vue de la Chine. Ils posent la question suivante : "Pourquoi la Corée parvient à produire un succès planétaire tel que le clip Gangnam style, et pas la Chine ?".

Contrefaçon

Publié le 17 octobre 2012
Les Chinois ont bien tenté de s'approprier le succès du rappeur Psy.
Les Chinois ont bien tenté de s'approprier le succès du rappeur Psy. Crédit Capture d'écran



La Corée est-elle supérieure à la Chine en terme de création et d'exportation de produits culturels ? Une série d'articles d'opinion se sont récemment penchée sur phénomène coréen Gangnam style...du point de vue de la Chine. Ils posent la question suivante : " Pourquoi la Corée parvient à produire un succès planétaire tel que le clip Gangnam style, et pas la Chine ? " .

Car Gangnam style a fait le tour du monde, le single de Psy s'est placé au top des hit-parades anglais et américain en quelques jours et comptabilise près de 500 millions de vues sur YouTube.


Suite aux nombreuses copies chinoises de Gangnam style, un article d'opinion paru dans  People's Daily, et un autre dans le New Yorker soulèvent le problème de la créativité en Chine.

Car les Chinois ont bien tenté de s'approprier le succès du rappeur Psy. Les imitations ont fleuri, la plus célèbre étant "Chinese Style !", vue 10 millions de fois sur Youku.com, c'est-à-dire quatre fois plus que l'original.




Outre le terme "Gangnam" (le quartier chic de Séoul) remplacé par "Chinese", rien n'a bougé : les mêmes scènes, les mêmes jeunes filles en mini short, la même chorégraphie du "cheval invisible". Ces imitations ont soulevé plus de critiques que de louanges, et les Chinois ont commencé a culpabiliser, voire à développer un sentiment d'infériorité. Pourquoi la Corée est-elle capable de produire un tel produit d'exportation, au succès planétaire, et pas la Chine ? Les internautes se plaignent : "Pourquoi nous contentons-nous toujours de suivre le mouvement, en nous moquant des autres et en faisant de bonnes copies à la Shanghai, au lieu de créer d'excellentes nouveautés ?". Le terme "Shanghai" réfère aux célèbres contrefaçons chinoises, en général des copies de produits occidentaux populaires, comme l'iPhone.

Selon le sociologue Gu Xiaoming, la créativité ne serait pas suffisamment valorisée en Chine. L'environnement culturel chinois ne serait pas au beau fixe, et les artistes seraient trop peu reconnus. Le pays encouragerait donc la copie.

Il est vrai qu'il semble plus facile d'imiter la chorégraphie de Gangnam style que d'apprendre la danse traditionnelle chinoise des tambours de taille, très complexe :





Mais l'article d'Evan Osnos dans le New Yorker propose une autre explication, avancée par le spécialiste de la Chine John Delury, qui enseigne les relations internationales à Séoul. Le problème serait culturel. Contrairement aux Coréens, les Chinois seraient peu familiers de la satire, et manieraient mal la dérision. Au contraire, les Chinois ne tendraient qu'à exporter des produits culturels qui vantent les mérites de la Chine, ce qui seraient moins attrayant que l’auto-dérision, pour les pays étrangers.

Delury explique : " Devrions-nous nous attendre à un Gangnam chinois bientôt ? N'y comptez pas. Psy fait de la satire, ce moque de la Corée et s'amuse. La Corée tend à avoir davantage d'ironie et de satire dans sa comédie que la Chine, et la Chine ne possède pas les mêmes ingrédients pour permettre d'exporter les produits. La Corée propose des produits qui questionnent, remettent en question le pays : la Corée se moque d'elle même. Et je pense que tout autour du monde, les gens se sentent invités à se joindre à cette satire, malgré un grand fossé culturel, c'est toujours attirant lorsqu'un pays étranger se moque de lui-même. Mais la Chine, particulièrement lorsqu'elle pratique son " soft-power " officiel, n'est confortable que lorsqu'elle exporte des choses qui représentent la grandeur de sa civilisation ancienne ou son développement économique. Ce n'est pas très attrayant."


Atlantico : Êtes-vous d'accord avec le constat selon lequel la Chine aurait plus de difficultés que la Corée à exporter ses produits culturels à grande échelle ?

Pierre Picquart : Les Coréens ont une sorte de modernité que la Chine n'a pas, qu'elle va acquérir. Dans certains domaines, la Corée du Sud parait plus en pointe. Peut-être parce qu'elle a développé sa modernité depuis plus d'années que la République populaire de Chine. La Chine telle que nous la connaissons, continentale est un pays qui s'ouvre sur l'extérieur depuis maintenant plusieurs années, mais qui auparavant n'avait pas l'expérience du libéralisme, ni de la créativité ni de la communication. Certes, certains de ces artistes contemporains sont maintenant très connus et très prisés, notamment dans le domaine de la peinture. Ils font partie du top 20 mondial. Mais si l'on se réfère à l'ensemble de la Chine, on ne peut pas dire qu'elle soit particulièrement en avance dans le domaine de l’art, de la musique comme de la chanson.

Mais cela me semble tout à fait normal. Car avant de devenir créatif, la Chine apprend, comme bon nombre de pays, à observer ce qui se fait à l’extérieur, aux Etats-Unis, en Corée, éventuellement en France, à copier, à ajuster. Il y a un savoir-faire qui n’est pas encore acquis aujourd’hui.


Vous expliquez que le Corée du Sud a amorcé ce processus plus tôt. Qu’est-ce qui lui a permis de le faire ? Comment cela s’est-il traduit ?

La Chine était auparavant un pays communiste et fermé. Aujourd’hui, le pays reste communiste tout en étant entré dans l’économie de marché : il redécouvre donc le libéralisme. Après en avoir été écartés pendant des années, les gens se retrouvent brutalement face à la création, et ils doivent apprendre les bases de la peinture, de la musique classique, la musique contemporaine, la musique moderne. Il faut un substrat, un terreau culturel très diversifié pour que les artistes commencent à proposer quelque chose de nouveau, y compris en matière de stratégie marketing.

Ce n’est pas un manque de volonté. Ils seront bientôt capables de créer et d’exporter comme les américains, mais ce n’est pas encore le cas actuellement. En matière de musique, les chinois aiment le karaoké. Donc ils vont plutôt imiter ce qui existe déjà, et bien qu’ils aient aussi des chansons chinoise assez sympas, cela reste dans le schéma des années 1960 et 1970, à la Claude François. Ils ne sont pas encore dans la modernité. Aujourd’hui, les chinois ont envie de cette modernité, mais ne savent pas encore. Donc, ils adoptent des stéréotypes internationaux.


Selon le sociologue Gu Xiaoming, la créativité ne serait pas suffisamment valorisée en Chine. Le problème serait donc politique, voire économique ? Faut-il recourir à des subventions ?

La chine est en train de s’ouvrir. Partant d’un discours un peu unique et figé, elle adopte une politique de communication beaucoup plus multilatérale. Bien sûr, la politique doit protéger l’art et la liberté d’expression. Mais je ne crois pas que l’art et la politique fassent forcément bon ménage, y compris chez nous en Occident. Car, par nature, la création fait bouger la société et le politique. C’est donc normal qu’il y ait des conflits, y compris chez nous.

Ceci dit, les autres pays n’ont pas toujours de leçons à donner. Le clip coréen de Gangnam style, tout bien réfléchi, est très stéréotypé, et n’est pas vraiment très créatif dans le domaine de la chanson moderne. Ce genre de clip est populaire, car plus moderne que ce qui existe actuellement en Chine. Cependant, de nombreux petits groupes de musique dans les villes chinoises produisent de la musique créative. Mais ils ne sont pas connus. Dans les grandes métropoles, il existe des structures te des groupes qui font des efforts. Les petits groupes de rocks, et des petits « Woodstocks » chinois sont de plus en plus organisés.


Selon le spécialiste de la Chine John Delury, ce retard de la Chine découle en partie d'un problème culturel. Contrairement aux Coréens, les Chinois seraient peu familiers de la satire, et manieraient mal la dérision. Au contraire, les Chinois ne tendraient qu'à exporter des produits culturels qui tentent de montrer la Chine sous son meilleur jour, ce qui seraient moins attrayant que l'autodérision, du point de vue des pays étrangers. Partagez-vous cet avis ?

Oui, c’est assez vrai. Les chinois sont assez conservateurs. La culture chinoise est très différente de la nôtre. Chez nous, faire perdre la face à autrui est presque un sport national. En Chine, il faut éviter à tout prix de faire perdre la face aux autres. C’est le principe numéro un de la culture chinoise. Une caricature est blessante et donc elle fait perdre la face.

Propos recueillis par Julie Mangematin

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