samedi 20 octobre 2012

Pêcheuses de millionnaires


La traque à la richesse obsède l'ensemble de la population féminine et a généré un vrai business - AFP
Cette traque au fric obsède l'ensemble de la population féminine et a généré un vrai business - AFP


















La Chine rouge, c’était le temps de la fleur bleue. Le matérialisme marxiste-léniniste faisait bon ménage avec la romance. Le sentiment amoureux, pourvu qu’il ne débouchât point sur une procréation indésirable, était toléré. Les jeunes prolétaires avaient le droit de s’aimer sous le portrait de Mao. Le Grand Timonier les guidait dans la carte du Tendre. Aujourd’hui, les jeunes Chinoises ne respectent plus qu’un culte dans la Chine post-maoïste et ultracapitaliste, celui du millionnaire. Elles rêvent toujours de l’homme idéal, c’est de leur âge, mais cet oiseau rare doit être un financier, qu’elles estiment plus doué pour le bonheur qu’un savetier, malgré ce que raconte ce niais de La Fontaine, qu’elles n’ont jamais lu. La seule héroïne de la littérature française qu’elles connaissent et dont elles envient le destin, c’est Cendrillon, Cinderella, leur modèle et leur patronne.

“Je n’aime que les hommes qui réussissent”, dit Bibi, une jeune employée de banque. Comme toutes ses amies, c’est une pêcheuse de milliardaires. Une activité absorbante, avec ses techniques, ses codes. Elle s’apprend dans des centres de formation. Bibi y consacre la moitié de son salaire en instituts de soins corporels et en produits de beauté de toutes sortes. Les familles encouragent cette chasse au mari friqué. Elles ont abandonné leurs traditions ancestrales, qu’elles avaient continué à respecter pendant le maoïsme, et elles se sont métamorphosées en petites entreprises de proxénétisme.
Bibi a travaillé dur pendant sept ans pour arriver à ses fins. Elle avait choisi une cible, un garçon qu’elle avait connu au lycée et qui est devenu millionnaire. Sur un milliard cinq cents millions de Chinois, il n’y a qu’un million de millionnaires. Il ne s’agit pas de lâcher sa proie. Il est surprenant, le millionnaire de Bibi. On ne sait pas comment il a gagné sa fortune. Il a 24 ans et il en paraît 16. Il est lisse comme un bébé. Il a bien fait les choses. Il a loué un cinq étoiles et dépensé 2 millions d’euros pour ce mariage. Il a même pris des cours pour apprendre à relever le voile de la mariée et à l’embrasser sur la joue. Le financier chinois n’est pas très dégourdi. Il n’y a ni prêtre ni officier d’état civil. C’est un animateur qui recueille le oui solennel des mariés. Comme l’ensemble de la planète semble promis au capitalisme radical, il sera peut-être bientôt très chic d’être marié par Patrick Sébastien.
Ce qui frappe chez les millionnaires chinois, c’est qu’ils sont sans illusion. Ils ne prétendent pas être aimés pour eux-mêmes. Le millionnaire est dispensé de séduction. Son compte en banque est là pour séduire à sa place. Les nouveaux mariés chinois, les mariés de la croissance, ne sont pas regardants dans le choix de leurs conjoints. Ils ont rayé le mot affinité de leur vocabulaire. L’époux peut même être sale et répugnant. Au-delà d’un certain revenu, ça n’a plus aucune importance. “Si je tombais sur un millionnaire qui a une mauvaise hygiène, je m’adapterais, dit une ravissante chasseuse de grandes fortunes, je suis très tolérante.” 
Il y a quelques exceptions, un millionnaire maniaque qui exige une épouse mesurant 1,67 mètre, 1,68 mètre, 1,69 mètre, pas un centimètre de plus ou de moins. Ou encore cette jeune Mandchoue qui ne supporterait pas un mari qui mangerait du chat ou du chien parce qu’elle aime trop les animaux. Des caprices plutôt que des goûts véritables. Le charme n’est plus qu’une affaire de gros sous.
Cette traque au fric obsède l’ensemble de la population féminine en âge de convoler, toutes classes sociales confondues, paysannes, ouvrières, vendeuses. Aucune ne se décourage. Un rêve collectif, une frénésie qui ont généré un business. Des foires aux millionnaires, organisées par des spécialistes, se tiennent à Pékin et à Shanghai. Elles donnent lieu à des speed dating où on peut surprendre, grâce à Jérôme Revon, le réalisateur de ce documentaire, des dialogues passionnés : “Tu gagnes combien ?, demande la jeune fille prête à tomber amoureuse. – 50 000 euros. – Par mois ? – Par an. – C’est pas assez.” Ou encore : “Ta société, elle est cotée en Bourse ? – Oui. – Dans le Sud ou à Shanghai ? – A Shanghai. – De ce côté-là, ça va.” 
Des agences matrimoniales se chargent de tenter les hésitantes. Elles peuvent employer jusqu’à 600 personnes. Des rabatteuses draguent les jolies passantes dans les quartiers branchés pour les attirer dans de véritables salles des ventes où sont exposés les millionnaires dont le coeur solitaire est un diamant. Le sexe est absent de ce marché. On s’achète et on se vend pour de bons motifs. Pour fonder une famille et avoir des enfants. Une fausse révolution des moeurs. L’ambition des Chinoises est à nouveau d’être femmes au foyer. Elles ont renoué avec la servitude.

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