samedi 12 juin 2010

Comment équilibrer l'énergie à son maximum

La fête des bateaux-dragons ou duān wǔ jíe (端午節) est une fête chinoise marquant l'entrée dans les chaleurs de l'été et la saison des épidémies. Elle a lieu le cinquième jour du cinquième mois lunaire, fin mai ou début juin dans le calendrier grégorien (date mobile). La tradition veut que ce jour-là, lorsque le soleil arrive au zénith, l'énergie yang (陽) (celle du couple yin-yang qui est associée à la chaleur et à la lumière) atteigne son apogée. C'est, dit-on, le seul moment de l'année où on peut aisément faire tenir un œuf debout sur sa pointe, jeu auquel se sont exercées avec plus ou moins de bonheur des générations d'enfants chinois.

Faire tenir un œuf en équilibre. Faire tenir l'énergie en équilibre, alors qu'elle est à son maximum.

Une des coutumes de cette journée est d'organiser des courses de bateaux en forme de dragon mus par une équipe de rameurs. La photo nous montre bien l'enjeu de l'équilibre.

Une vingtaine d'hommes debout déployant toute leur énergie, en équilibre instable sur un bateau ne dépassant que quelques cm le niveau de l'eau. La coordination des mouvements doit être parfaite pour que le bateau ne chavire pas.

Voici une photo prise dans une autre ville :

 
Il y apparait le motif de la ligne tracée par les ondes successives. Cette ligne ne peut exister que si la trajectoire du bateau est parfaite. Autrement dit, il n'y a équilibre de l'énergie que si la ligne d'énergie est tenue droite.

Le Dragon est une divinité de l'eau. Le bateau possède une tête de dragon. En mettant la divinité à leur service, les hommes doivent en maîtriser la puissance : canaliser les flots, en orienter une partie dans les canaux d'irrigation, en retenir  dans des lacs quand la sècheresse arrive.


L'enjeu est de la course est clair : capter la puissance du dragon, la déployer tout en préservant l'équilibre de l'équipe des rameurs.


Tenir la ligne de l'énergie,  c'est tenir les démons à distance. Ce jour-là, la porte d'entrée est décorée avec des herbes protectrices (chāng pú, 菖蒲, et armoise, ài cǎo, 艾草) et l'effigie d'un dieu pourfendeur de démons, Zhōng Kuí.

C'est tenir les maladies à distance :  un petit sachet de tissu (xiāng bāo 香包) rempli d'une poudre protectrice contre les maladies est accroché au cou des enfants.

Tenir la ligne de l'énergie, c'est également respecter les lois qui apportent au royaume la prospérité et aux habitants, la justice. Il y a un lien étroit entre la fête des Barques-dragons et la commémoration du suicide du poète Qu Yuan. La plupart des Chinois font de ce suicide la raison de la course.
Portrait du poète Qu Yuan.
Qu Yuan naquit en 340 av. J.-C. dans le royaume de Chu, dans le Sud de la Chine, qui était à cette époque en plein bouleversement Face à la corruption des aristocrates au pouvoir, il proposa de réformer le système politique, d'installer la légalité, et d'assigner des personnes talentueuses aux postes importants. Cependant les gouvernants s'opposèrent à ses propositions; le roi Huaiwang de Chu crédule aux rumeurs contre Qu Yuan l’expulsa du royaume.
Qu Yuan avait alors plus de cinquante ans. Il quitta la capitale du royaume et erra en exil dans d'autres royaumes. Toujours habité par son patriotisme, il écrivit des poèmes pour exprimer son inquiétude face au sort de sa nation et de son peuple. Ses poèmes comme l'Elégie de la séparation, Neuf chapitres et Neuf chants sont considérés comme des chefs-d'œuvre, tant dans la littérature chinoise que dans la littérature mondiale. En 278 av. J.-C., l'armée du royaume de Qin prit d'assaut la capitale du royaume de Chu. A cette nouvelle, le poète, alors âgé de 62 ans se suicida en se jetant dans la rivière Miluo, située dans le nord-est de la province actuelle du Hunan.


Grâce à son esprit de sacrifice et à sa lutte constante pour rendre son pays puissant, Qu Yuan avait gagné le respect du peuple. A l'annonce de son suicide, on vint de toutes parts pour tenter de retrouver son corps. Malheureusement, celui-ci avait été emporté par les eaux. Le peuple du royaume de Chu fut plongé dans un profond chagrin.

Au suicide de Qu Yuan est liée la coutume des Zongzi que les gens jettent dans la rivière et mangent le jour de la fête des Barques-dragons. Un zongzi est une feuille de bambou remplie de grains de riz parfumés. Les zongzi jetés dans la rivière sont attachés avec des ficelles de couleur.

Selon la légende, sous le règne de l'empereur Jianwu des Han, un habitant de Changsha, appelé Ou Hui, rencontra l'incarnation de Qu Yuan. Ce fantôme lui dit : « Vous êtes bien aimables de m'offrir en offrande des boulettes de riz. Malheureusement, c'est le dragon de la rivière qui reçoit normalement toutes les offrandes. Il vaudrait mieux envelopper ce gâteau de riz d'une feuille de roseau, et l'attacher avec des ficelles de couleurs, afin d'en éloigner le dragon. » Ou Hui suivit le conseil et le reste du peuple de même.

Dans la rivière, dans l'énergie bouillonnante de l'eau, à la fois nourricière et destructrice, les chinois y distinguent deux êtres, l'un divin, l'autre humain.

Une thématique apparait : dans l'harmonie de l'énergie, y contribuent à la fois le Dragon et le Patriote. Dans nos concepts occidentaux, nous dirions : la Nature et la Culture. Pour les chinois, il y a deux énergies à maîtriser : la Nature et la Société. Cela ne suffit pas de maîtriser l'énergie du dragon, il faut aussi maîtriser l'énergie du groupe humain en obéissant aux règles, en se coordonnant et surtout en gardant la mémoire des actes valeureux des anciens patriotes.

Tout comme les désordres de la Nature peuvent détruire la Société - un tremblement de terre, une inondation, une sécheresse - les désordres de la Société peuvent détruire la Nature.

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