jeudi 14 octobre 2010

Bouddha : vive la mortalité du corps social !

 Le Bouddhisme est une religion présente partout en Chine. Dans les maisons, dans les restaurants, nous rencontrons des autels où figure une statue du Bouddha. Parfois, le Bouddha se présente de la taille d'un homme.

Bouddha. Maison de Yangshuo
Pourquoi ce corps est magnifié dans des statues géantes comme celle-ci ?

Bouddha géant. Leshan, Yunnan.

Ou celle-ci, en Thaïlande ?

Bouddha géant en Thaïlande
 
Voilà le paradoxe à expliquer : pourquoi le Bouddhisme fait du corps du Bouddha un corps glorieux, éclatant de bonne santé et rayonnant ? D'un coté, ce corps évoque l'immortalité du corps souhaité dans la culture chinoise ancienne. De l'autre coté, Bouddha est un homme, qui, dès sa naissance, est destiné à mourir.

Mourir, n'est-ce pas le lot de chaque humain ? Comment se fait-il que la mort du Bouddha soit présentée comme la réalisation la plus haute, comme la Béatitude suprême, comme le signe du Nirvana ?

Il y a là un retournement inouï : la vie devient une valeur négative. Donc, a fortiori, l'immortalité de la vie. La vie est soumission à la passion et à la souffrance, la vie est dépendante des dettes du Karma.Voilà ce qui est proposé : enfin mourir, enfin mourir absolument !

Comment cet éloge de la mort a-t-il rassemblé autant d'hommes et de femmes ?

Pour expliquer ce paradoxe dans un prochain message, nous nous donnons la matière de deux extraits d'articles publiés dans le site buddhaline.net

Cependant, nous indiquons ici d'emblée la piste que nous allons suivre. La mort qui est souhaitée est la mort de l'esprit de celui qui vient de mourir. Il y a un grand nombre de rituels qui consistent à purifier l'âme des morts afin qu'ils ne tourmentent plus les vivants.

Alors, sous cet angle, le Bouddhisme se présente comme une volonté de tabula rasa du passé comme de l'avenir. Pour la personne, c'est l'éloge du Présent Absolu. Famille, Tradition, Liens sociaux : je m'en émancipe ! Je ne reprends ni les dettes que m'impose ma naissance sociale, et je ne crée aucune dette qui engagerait les personnes à venir.

Sous cet angle de la tabula rasa, on peut analyser la Révolution culturelle maoïste comme une variante du bouddhisme. Ainsi, en plus de souhaiter la destruction des mémoires du passé, Mao préconisait de rompre les liens familiaux entre les enfants et les parents. Les enfants étaient confiés aux soins de la Commune. On sait que cela entraina la mort de plusieurs millions d'enfants, et une baisse de la natalité.

Matière  pour une analyse du Bouddhisme

Comprendre le Bouddhisme en quelques points pa r Min Thin-Oen

Qui est-ce qui a créé le Monde et l’univers ?
réponse : Personne n’a créé le Monde et l’univers. C’est l’imperfection de nos organes de sens qui nous fait percevoir le Monde et l’univers à notre façon. C’est parce que nos yeux ne peuvent voir que des rayons lumineux de longueur entre 420 et 650 nanomètres, et que nos oreilles ne peuvent entendre que des sons de fréquence entre 20 hertz et 20 kilohertz, que nous percevons ainsi le Monde et l’univers. Un chien, une vache ou un oiseau voient le Monde et l’univers autrement. Le Bouddha disait : "Nous sommes tous dans le Dharma pur et serein, mais chaque être vivant perçoit le Monde et l’univers à sa façon, selon son KARMA, c’est-à-dire selon sa nature actuelle qui est la conséquence de ses ambitions et de ses actions antérieures."

Qui est-ce qui a créé l’Homme ?
réponse : Personne n’a créé l’Homme. C’est notre ignorance originelle qui a engendré notre existence à travers le temps. A l’origine le Dharma est pur et serein. Dans cette sérénité règne la Sagesse. A partir de la Sagesse s’est élaborée la connaissance qui est notre ignorance originelle, car la connaissance implique la distinction entre celui qui connaît et les choses connues. Avec l’apparition de la connaissance, nous commençons d’ignorer notre nature première qui est le Dharma pur, serein, sans aucune distinction. C’est le commencement de la Chaîne des douze relations causes-effets :
1.- l’ignorance originelle fait apparaître l’évolution (les actions).
2.- L’évolution (les actions) fait apparaître la conscience.
3.- la conscience fait apparaître les phénomènes.
4.- les phénomènes font apparaître les 6 organes des sens.
5.- les 6 organes des sens se mettent en contact avec les 6 phénomènes externes (les formes et couleurs, les sons, les odeurs, les saveurs, la matière, les idées).
6.- le contact fait apparaître les sensations (la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher, les sentiments).
7.- les sensations font apparaître les désirs.
8.- les désirs font apparaître les attachements.
9.- les attachements incitent aux actions.
10.- Pour AGIR, il faut une existence, une vie.
11.- l’existence évolue nécessairement vers la vieillesse et la mort.
12.- la mort est le commencement d’une autre vie.
A partir de là, l’Homme prisonnier de ses désirs et de ses attachements, patauge dans le courant infernal de la vie et de la mort, dans l’océan des passions et des souffrances. il ne sait plus comment s’en sortir.
Pour notre Libération, Le Bouddha nous conseille d’éteindre nos désirs, de briser la chaîne d’attachements, d’être conscient que nous faisons partie du Dharma pur, serein et sans aucune distinction.

Qu’est-ce que la renaissance ?
réponse : il n’y a pas d’âme immortelle, mais il y a dans chaque être vivant une énergie vitale qu’est la Conscience. Après la mort, cette énergie vitale, toujours conditionnée par son Karma, ses désirs et ses attachements va trouver une autre forme d’existence ou de vie pour manifester son Ego et réaliser ses souhaits. Elle sera alors conditionnée en plus par le nouveau support matériel qui est son corps et oubliera sa vie antérieure. Une personne sage, après sa mort, reste clairvoyante et peut choisir et planifier sa prochaine vie. Une personne moins évoluée, après sa mort, se laisse entraîner par son Karma, ses désirs, ses attachements vers un nouveau support matériel qui lui convient.

Y a-t-il un enfer ?
réponse : Oui, l’enfer est un lieu ou un état de souffrance intense. C’est la conséquence inévitable de l’homme méchant qui a commis de mauvaises actions.

Qu’est ce que le Nirvâna ?
réponse : Le Nirvâna est un monde ou un état d’âme de bien-être sans souffrance. C’est la conséquence naturelle de l’homme sage qui a éteint ses désirs et brisé ses attachements. Le Nirvâna a plusieurs niveaux selon le degré de pureté acquis par chacun.

Quelles sont les méthodes pratiques du bouddhisme pour devenir un Bouddha ?
réponse : Quand Le Bouddha était vivant, il a enseigné 84.000 méthodes correspondantes à 84.000 types de caractères humains. Maintenant, un Bouddhiste averti doit choisir la méthode qui lui convient. Pour bien choisir une méthode, il faut d’abord trouver un bon maître. Voici quelques méthodes les plus répandues :
- Ayana ! observer et méditer pour corriger nos erreurs et nos défauts, pour trouver l’origine première d’une Chose.
- Méditer sur un squelette pour voir les souffrances et les vanités de la vie, pour abandonner notre attachement au corps et à la vie.
- Méditer sur la saleté du corps humain pour abandonner notre attachement au corps et à la sexualité.
- Méditer sur l’impermanence des choses pour abandonner notre attachement à la propriété, à la richesse.
- Méditer sur la souffrance qu’entraîne la possession, pour éliminer nos convoitises. En effet, posséder un corps, c’est avoir des besoins, des maladies, des incapacités, des soucis de confort et d’insécurité... ; posséder une maison, c’est avoir des obligations pour l’entretenir et pour la maintenir en ordre, des charges, des impôts et des taxes à payer.
- Méditer sur l’impermanence de notre Mental pour supprimer notre attachement à notre Ego. En effet, notre Mental change constamment : tantôt gaie, tantôt triste, tantôt calme, tantôt tourmentée, tantôt généreuse, tantôt égoïste... Où donc le vrai Moi permanent ?
- Anapanasati : se concentrer sur la respiration pour maîtriser nos sentiments et le vagabondage du Mental.
- La récitation des Dhâranis (formules magiques) ou des Sutras (recueils de l’Enseignement du Bouddha).
- L’utilisation du chapelet et la récitation du nom du Bouddha AMITABHA.
- La Méditation sur un Bouddha.
- La méditation sur un thème bouddhique ; les 4 nobles vérités, la chaîne des 12 relations causes-effets...
Pour être efficace, chaque méthode doit être appliquée avec des techniques précises indiquées par les grands maîtres. Cependant Le Bouddha nous a indiqué les règles générales communes à toutes les méthodes ; c’est le Noble Chemin Octuple :
1.- La vision ou compréhension juste
2.- La pensée juste
3.- La parole juste
4.- L’action juste
5.- Les moyens d’existence justes
6.- L’ effort juste
7.- L’attention juste
8.- La concentration juste.
Le qualificatif " juste " veut dire ce qui est bon pour nous mêmes et pour autrui, ce qui est conforme au Dharma , à la vérité.


extrait d'un texte de Paul Magnin, spécialiste du Bouddhisme

En affirmant le caractère transitoire et impermanent des êtres vivants, le bouddhisme évite tout dualisme entre le corps et ce que nous nommons « âme ». Le corps ne peut être regardé comme une masse inerte à laquelle la vie serait insufflée de l’extérieur. Il est vivant par lui-même et actif, en raison de l’interaction des cinq éléments psycho-physiques qui le composent : matière et forme, sensation, perception, volition (cetana associée à samskara, actes et fonctions psychiques), connaissance (vijnana). 

La matière brute est indissociable de l’esprit pur. L’individu se construit à travers un comportement de plus en plus intégré, par l’adjonction successive de la sensation, des perceptions qui servent à l’identification des formes, puis des comportements aux modèles d’une complexité croissante en fonction des habitudes et de la volition, enfin de l’idéation. L’individu ainsi constitué a donc une activité tournée vers l’extérieur. Tout son être est engagé dans une relation dialectique avec le monde extérieur. Cette relation au monde s’effectue à travers le corps, la parole et l’esprit. 

Toutefois, l’homme modifie le sens de ce rapport : à l’impermanence et à la non-substantialité des éléments, il oppose la prétendue permanence et substantialité du Soi. Or, nous l’avons compris, l’individu n’échappe pas au discontinu, à l’impermanence. Bien qu’étant les plus raffinés de ses constituants, la volition et la connaissance sont elles-mêmes empreintes du caractère transitoire et changeant de toutes choses.

La volition

Cependant, l’individu ne saurait être réduit à la somme des éléments qui lui sont agrégés. S’il en était ainsi, tout ce qui existe, composé par nature, serait susceptible d’être mélangé à l’infini. Or l’expérience montre qu’il existe des « collections » distinctes les unes des autres, des « séries » cloisonnées.

La série est soumise à une loi organisatrice ; elle est régie par un principe d’unité. Ce principe d’unité ne doit pas être hypostasié, puisqu’il ne possède aucun caractère autonome ou absolu et ne peut être assimilé à un atman. En outre, ce principe d’unité n’est ni identique aux éléments qui composent la personne (pudgala), car il serait susceptible d’anéantissement, ni différent de ces mêmes éléments, car il serait éternel et inconditionné. Il doit donc être considéré comme un ensemble de « dispositions » qui forment une unité pragmatique servant de pôle et de support à la « série » des instants de pensées propres à un individu. Ces dispositions sont aussi désignées sous le nom d’imprégnations (vasana), dont l’intensité est proportionnelle à la vivacité de l’expérience vécue. 

Dès lors, ce qui demeure, au-delà des séquences de pensées à travers le discontinu, les instants et le temps, n’est autre que la volition, qui est une disposition et une propension de la « série » à faciliter le retour de l’expérience ressentie et appréciée comme utile et agréable. Ce retour à l’expérience s’accomplit au moyen des actes, puisque ceux-ci définissent le rapport exact du sujet à l’objet, de l’individu au monde extérieur.

La loi de production conditionnée

Ces diverses considérations sont nécessaires à la compréhension de la loi de « production conditionnée » ou « en dépendance causale  », pratityasamutpada. Cette loi, propre au bouddhisme, explique le mécanisme qui conduit un individu vers la renaissance et l’entraîne dans le cycle naissance-mort (samsara). 

Selon cette loi, il existe douze causes fondamentales (nidana) s’enchaînant nécessairement et produisant un effet déterminé. 

Les sept premières causes décrivent la mainmise de l’esprit sur chacun des cinq éléments composant tout individu. En premier vient l’ignorance ou nescience (avidya), qui, sous l’influence des trois poisons (convoitise, haine et erreur), suscite en nous les quatre méprises concernant la permanence, le bonheur, le Soi et l’incomposé, ... L’ignorance est alimentée par le désir d’appropriation, par la soif d’exister ou de ne pas exister. Elle a pour effet direct d’influer sur notre volition et de l’inciter à agir. Nous avons expliqué le rôle essentiel de la volition, ou disposition, qui fait l’unité de l’individu. La volition exerce tout pouvoir sur l’intelligence et la connaissance dans leur rapport au corps physique, les entraînant dans des modes particuliers de penser et de sentir. Sous l’influence de l’esprit et de la connaissance, les six organes des sens, neutres par nature, entrent en contact avec leurs objets respectifs grâce à l’acte, mais les sensations agréables ou désagréables qui en résultent, qui sont moralement neutres, sont dénaturées par les passions (convoitise, haine et erreur).

En huitième position parmi les douze causes, nous trouvons la « soif » (trsna). Elle est, avec l’ignorance, le moteur de toute la chaîne causale. Elle se complaît dans la sphère de l’agréable et du désagréable. Lorsque les six organes des sens entrent en contact avec leur objet, elle oriente la volition de telle sorte que celle-ci dicte aux sens leur mode de réaction et perturbe le jugement de l’individu. Celui-ci est influencé par l’état d’ignorance et de partialité dans lequel il vit, en raison, notamment, de la quadruple erreur.

Les jugements faux ou erronés dénaturent le rapport du sujet à l’objet et attisent la soif, laquelle, en retour, accroît le dévoiement de la raison. La soif excite en l’homme son besoin d’appropriation (upadana). Les textes distinguent quatre catégories d’appropriation ou attachement aux plaisirs sensibles, aux vues fausses (y compris les vues erronées concernant l’expérience bouddhique fondamentale), aux pratiques morales ou ascétiques considérées comme suffisantes au salut, à la croyance en un Soi autonome et absolu. 

Cette volonté d’appropriation est telle qu’elle fait du Soi le centre de tout et n’a de cesse qu’il soit satisfait. Une telle soif de possession provoque nécessairement la soif d’existence et le besoin de renaissance, avec l’illusion d’échapper à l’impermanence. A ce niveau la passion joue un grand rôle, puisqu’elle est à l’origine du processus d’activité suivi automatiquement par celui des rétributions, donc des renaissances, celles-ci étant le fruit des actes accomplis par un individu durant son existence. 

Au terme de la loi de production conditionnée, nous trouvons la naissance et la mort. La différence entre la première et la seconde ne s’exprime pas en termes d’être et de non-être. Elle est avant tout le dernier instant de pensée de la vie arrivée à son terme, qui conditionnera le premier instant de pensée dans la vie suivante. La mort n’est qu’un passage dans la séquence subséquente de la « série ». Celle-ci connaîtra d’autres naissances et d’autres morts tant que l’individu qui en est l’expression n’est pas parvenu à l’éveil et au nirvana.

Le passage de la renaissance
Comment se fait le passage à la nouvelle naissance ? Qui transmigre ? Si l’on a bien compris le rôle de la volition et de la connaissance, la nécessité qu’elle a d’être associée à des organes des sens pour s’exprimer et agir, alors on peut concevoir qu’au moment de la mort l’individu se trouve dans un état donné dont il prend conscience et qui le pousse à renaître dans tel ou tel état en fonction de sa nature interne. Il prend alors corps dans une nouvelle existence. 

Pour le bouddhisme, on peut renaître dans cinq catégories : les enfers, les esprits errants ou affamés, les animaux, les hommes et les dieux (plus tardivement sera ajoutée la sixième catégorie des asura ou titans). Pour se libérer, il est nécessaire de renaître homme, puisque la libération est possible dans cette seule catégorie. Cela s’applique également aux dieux, étant donné qu’ils sont impuissants à se détacher de l’état de satisfaction et de bonheur où ils vivent. 

Or la vraie libération passe par l’absence de tout désir et de toute sensation agréable. Elle est au-delà du bonheur, au-delà même de toute béatitude. Elle se réalise au coeur de l’expérience humaine. C’est, en effet, au sein de l’existence que l’homme parvient à une véritable ataraxie, une paix de l’âme où il n’y a plus aucun mouvement des pensées et du désir, ni vers le mal, ni vers le bien, ni vers l’existence, ni vers la non-existence. 

On commet une grave erreur lorsqu’on affirme que le bouddhisme recherche exclusivement le « vide » de l’être et fuit l’existence ou qu’il est une philosophie du néant. Une telle opinion montre d’une part à quel point on ignore le principe de la non-dualité qui fonde tout le bouddhisme, de l’autre comment l’on confond « vacuité » et « néant ».

La nouvelle naissance n’est ni identique à la précédente, ni totalement différente. Ici se pose la question de la rétribution automatique des actes dont on sent les effets. Ceux-ci ont trois plans d’efficacité : immédiat, à moyen terme et à très long terme. Mais cela ne doit pas être perçu au sens étroit. C’est moi, et moi seul, qui agis, et non un autre dont j’assumerais la renaissance. Si, à la naissance, je suis le fruit des dispositions accumulées dans la « série » antérieure, et n’en demeure pas moins un être nouveau et unique, car je suis soumis à un environnement nouveau qui a aussi son influence sur moi. Sans cela, il serait impossible d’évoluer. je serais entièrement tributaire d’un passé qui me dépasse et d’un destin qui me lierait inexorablement aux conséquences inéluctables des appétits auxquels aurait succombé la « série » antérieure dont je ne découvrirai la nature qu’à l’instant de mon éveil. 

Or le bouddhisme ne croit ni à l’absurde, ni au fatalisme, ni au déterminisme, encore moins au destin. Le bouddhisme admet qu’un individu naît doué de dispositions qui sont le fruit d’une maturation d’actes accomplis dans une existence antérieure, mais aussitôt il affirme la capacité qu’a tout homme de se libérer du cycle des renaissances, le Bouddha en ayant lui-même apporté la preuve par sa propre expérience du nirvana.

Le nirvana
Celui qui atteint l’éveil acquiert la certitude qu’il ne renaîtra plus et qu’il échappe désormais à la loi de la production conditionnée ou en dépendance. Cette sortie hors du champ des renaissances et du cycle du samsara a pour nom nirvana, ce qui signifie extinction ou rupture. Cette rupture entraîne la fin des trois racines de l’acte, appelées aussi trois poisons : la convoitise, la haine et l’erreur. Le nirvana est parfois assimilé au bonheur et à la libération. Dans le bouddhisme, il est vrai que ceux-ci accompagnent l’état dans lequel entre peu à peu l’individu qui est de moins en moins soumis au cycle des renaissances et qui n’agit plus, l’acte étant tout à la fois le rapport sujet-objet que l’on introduit dans toute relation et également la volonté d’appropriation ou de satisfaction du bien accompli. Néanmoins, il convient d’apporter ici quelques précisions.

Le bonheur se situe au départ du chemin spirituel. Il est ce sentiment profond ressenti dès que le regard et les sens retrouvent leur faculté propre de voir les êtres sans plus en déformer la nature. Le bonheur laisse la place à la joie ou allégresse, fruit de la conversion et du changement du coeur, puisqu’elle est indissociable d’une volonté déterminée de procurer aux autres une même joie, ce qui suppose une désappropriation et un décentrage. Voilà pourquoi la joie est placée au-dessus de la bienveillance et de la compassion. A son tour elle devra s’effacer devant l’équanimité qui dépasse tout sentiment d’amour, de compassion et de volonté de bonheur pour les autres.

Ayant atteint l’éveil et fait l’expérience du nirvana au cours de sa dernière existence, le saint, arhant, non seulement ne peut plus renaître - car en lui ont été définitivement épuisées toutes les passions et les erreurs -, mais, en outre, il a dépassé tout sentiment de bonheur et de joie. Il n’agit plus sous l’effet de l’ignorance ou par besoin d’appropriation ; se situant désormais en dehors du champ ordinaire des actes, il est parfaite transparence. Il a aboli la distance que l’homme ordinaire, soumis à ses passions et vues fausses, dresse entre lui et les autres. Il vit dans une indifférence et une équanimité profondes, puisqu’il ne se livre plus aux différenciations et ne tend ni vers l’être, ni vers le non-être.

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