mardi 5 octobre 2010

Modes de régulation de l'énergie dans la culture chinoise : équilibre global !

Premiers résultats de notre parcours culturel : quatre régulation de l'énergie

je peux faire un premier bilan de ce parcours mettant en valeur une série de faits culturels. Une grande thématique se dégage : la régulation de l'énergie. ce constat n'est pas original. Par contre, il est stimulant de noter quatre modes de régulation de l'énergie, associées à une série de techniques. Ces techniques vont se donner des figuration privilégiées.

1/ L'énergie se capte et se régule en extension à travers la broderie des fleurs Qiang, les broderies ajoutées au vêtements, ou la multiplication des plis de la robe Miao. A une première forme, s'ajoute une seconde forme, puis une troisième forme, selon des cercles augmentant de façon excentrique. A l'origine, l'énergie se présente comme une ligne de force, une découpe. Puis, à certaines occasions, l'énergie est appelée à se manifester au travers d'un déploiement. Peut-être nous pouvons y classer la manifestation d'énergie des rameurs des bateaux dragons.

2/ A l'inverse, l'énergie se régule de façon concentrique dans les figures du faire cercle. Il s'agit ici de reformer le cercle, afin de rassembler l'énergie diffusée autour de sa source solaire. Ce sont les oiseaux phénix qui organisent leur vol selon un cercle. Ce sont les festins de la famille et des amis autour d'une grande table ronde. L'énergie rassemblée est mise en évidence par un déploiement de technicité : le cercle des phénix est taillé ans le jade, les plats organisent des alliages de saveurs et de couleurs d'un extrême raffinement.

Ces deux modes de régulation peuvent être disposés de façon à générer une matrice de différences par contrastes. Cela installe la possibilité de deux autres modes de régulation.

Quatre modes de régulation de l'énergie dans la culture chinoise.
Les deux précédentes régulation d'énergie se caractérisent par la figure du cercle.Deux autres régulations nous semblent plus de nature ondulatoire. Il s'agit de capter et de capitaliser l'énergie par des répétitions successives du même. Ici, la source d'énergie ne se modifie pas. Par contre, la matière se transforme, dans un sens qui va de l'extérieur à l'intérieur.

3/ La cuisson à la broche consiste à faire revenir régulièrement la chair de l'animal au dessus de la source de chaleur. Le rythme de passage est important : pas trop vite, pas trop lentement. Il y a un pic de transmission de chaleur sur une partie extérieur de l'animal , puis diffusion de la chaleur dans les chairs internes.

4/ On retrouve le principe de la diffusion de l'énergie de l'extérieur à l'intérieur des chairs dans la pratique sexuelle. Le frottement du membre masculin communique l'énergie Yang à la femme. Les eaux de la femme communiquent l'énergie Yin à l'homme. La répétition du frottement et de la baignade sont des facteurs à la fois de diffusion, de combinaison et d'accumulation d'énergies complémentaires dans les chairs. L'orgasme n'est qu'un moment de l'ondulation : le pic d'énergie doit ensuite se diffuser dans les parties les plus internes du corps.

On comprend mieux la fascination exercée par les "pierres de rêve" de Dali, ou par les pierres de jade. Les ondulations et les contrastes colorées du marbre ou du jade sont des images de la transmutation de la chair, soumise à la répétition rythmique des interactions énergétiques.

Hypothèses sur les symboliques classiques de la culture chinoise

Mes résultats peuvent surprendre, car ils ne font pas directement écho aux images symboliques qui sont usuellement associés à la culture chinoise. Cependant, il me semble que je peux poser des hypothèses de rapprochement que je tenterais de confirmer par des enquêtes ultérieures.

1/ Premier rapprochement : la ligne de force qui se déploie par intervalles en fleur (broderie Qiang) peut s'identifier dans la ligne mouvante qui structure le dragon. Ligne mouvante qui fait halte régulièrement. A la Fête du Printemps, boutique après boutique, restaurant après restaurant, le dragon devient forme tourbillonnante.

Fête du printemps. Devant chaque boutique ou restaurant, le dragon danse.
2/ Second rapprochement : le hénix représente la possibilité de la reconcentration d'énergie et la manifestation de cette énergie reconcentrée comme soleil central. Ce soleil.symbolise la force de la communauté réunie.Cette peinture de Phénix me semble parfaitement illustrer cette symbolique du rassemblement de l'énergie dans un "faire cercle ensemble".

Au cours de son vol, le Phénix à la fois parcourt le monde, le rassemble et le concentre.
3/ Troisième rapprochement : Bouddha est la figure de la métamorphose de homme par l'exposition à la sagesse et à l'amour, tout comme le canard ou le cochon se métamorphosent en chair savoureuse lorsqu'ils son exposés au Feu. Pour appuyer ce rapprochement, j'attire l'attention sur les volumes bien ronds du ventre et des joues de Bouddha. Au plus loin de la figure ascétique du Christ, la figure de Bouddha évoque un gros mangeur. Plus, si Bouddha était mis à la broche comme un jeune cochon, il serait très appétissant à manger !

Sculpture de Bouddha destinée à une maison
4/ Quatrième rapprochement que nous avons bien démontré entre les pratiques sexuelles et les codifications littéraires. La culture, par les jeux de langages et les récits littéraires montre comment les passions charnelles peuvent être maîtrisées en vue d'une double harmonie. Harmonie des humains avec la Nature, harmonie des hommes et des femmes entre eux. Ici, dans cette peinture, la codification littéraire suggère que le rythme maîtrisé d'une fellation se transforme en une musique harmonieuse :

Jouer de la flute de jade = art sexuel pour l' Harmonie
Je rassemble maintenant ces symboles usuels dans la matrice précédemment articulée :
Quatre symboliques classiques de la culture chinoise.
Ces deux matrices mettant en relation quatre symboles et quatre modes de régulation de l'énergie, évoquent la théorie développée par Philippe Descola, élève de Levi Strauss, anthropologue, professeur au Collège de France. Selon lui,  il y aurait quatre grands modes d'énergie symbolique et donc quatre grands types d'images.

Dialogue avec la théorie des images / énergies symboliques de Philippe Descola

Le Musée du Quai Branly a confié à Philippe Descola l'organisation de l'exposition  La Fabrique des images. Le parcours repose sur cette proposition : " il y a des images qui sont incompréhensibles du point de vue de la société occidentale, mais nous pouvons leur donner du sens en soulignant les différences à partir notre vision occidentale".

La méthode de P. Descola propose deux temps successifs dans le parcours de l'exposition:

1 - d’abord revenir à la source des deux énergies des images occidentales, l’énergie du corps, l’énergie de l’esprit intérieur.
2 - puis éprouver les différentes transformations possibles de ces énergies dans les images des autres aires culturelles.

Selon P. Descola, depuis plusieurs siècles, en Occident, nous fabriquons deux grands types d’images. Des portraits où le peintre s’attache à dégager l’intériorité spirituelle qui distingue chaque humain d’un autre. Et des paysages, des scènes de vie en société (un intérieur hollandais, une prière, des joueurs de cartes ..) où les humains se mettent en situation au sein d’une nature qui est commune à tous.

Ces deux types d’images construisent une articulation basée sur l’opposition "esprit/corps mécanique". Si le corps est en continuité avec la nature, par l’esprit, les humains se rendent maîtres de cette nature. Cette vision est nommée dans l’exposition "naturalisme". 

Première différence : les multiples incarnations de l'esprit humain

Dans l’animisme, toute entité - un animal, une plante, un artefact – possède un esprit intérieur. Chasseur, je peux communiquer avec l’esprit du phoque, de oiseau, de l'ours que je chasse. Comme corps, je m’apparais dans une sorte de corps - mon corps d’homme -, parmi la grande diversité des corps naturels. Mais je pourrais m'incarner dans le corps de l'animal, tout comme l'esprit de l'animal peut s'incarner dans mon corps.

La vision de l’homme dans l’animisme pourrait se dire ainsi : l’homme n’est qu’une créature parmi toutes les créatures. Cependant, le pouvoir spécifique de l’homme est de faire parler chaque créature, en figurant à la fois son esprit et son corps.

Le chasseur pense aux comportements et aux ruses de ses proies lors de l’affrontement. Il se les figure. Par exemple, l’ours devient un acteurs dans le théâtre de son esprit. Le chasseur comprend immédiatement ce que lui dit l’ours : l’animisme est la capacité de parler avec les esprits autres. Ce la devient la capacité de parler comme l'ours. La preuve est donnée par ce masque : le chasseur se fait ours parlant.


Seconde différence : "rester en ligne" avec une origine

Dans le totémisme, je fabrique les qualités spécifiques de mon corps et de mon esprit à partir d’un prototype qui n’existe que sous la forme de rêve : un "Etre de rêve", un Totem. Ces totems ont pour rôle de mettre en ordre le monde et de le rendre conforme aux subdivisions qu’ils incarnent eux-mêmes.

Pour "rester en ligne" avec ce prototype, je m’aide de deux sortes d’images.

• Par une image du corps du totem : par exemple, une peinture sur écorce, je fais apparaître "l’empreinte du corps" de mon Totem Tortue.



• Par des traces sur le paysage : je reproduis dans une image "l’empreinte des mouvements" laissés par mon totem.

Donc, la vision du monde du totémisme est une vision dynamique de découverte et de recréation de principes premiers. Dans sa quête de l’esprit, mon corps se transforme selon les images que je me donne de mon Totem. Ces images fonctionnent comme des "moments d 'ouverture" dans un flux.

Avec le totémisme, nous apprenons à construire notre identité spécifique, où nous sommes un Autre pour les autres humains. Par exemple, si "mon identité" est Tortue, "je" dois apprendre comment apparaître comme "Tortue", par rapport à d’autres qui seront "Outarde". Le "je" s’ouvre pour laisser agir et parler le Totem originaire. L’image du corps de la Tortue actualise le Totem dans l’ici et maintenant des interactions sociales.

Troisième différence : révéler es relations

 L’image est construite selon une carte de relations entre des éléments qui apparaissent analogues. L’analogisme est une vision du monde où chaque élément corporel révèle sa spiritualité par ses relations avec d’autres éléments qui lui seraient analogues. Au Tibet, ce tableau des relations est figuré dans  des peintures extrêmement détaillées, peintes à la main avec de la poudre d'or, représentant des divinités bouddhistes : les Tanka.
Tanka tibétain
Ainsi la spiritualité des éléments du microcosme se révèle dans les relations avec des éléments qui lui sont analogues dans le Macrocosme.

Mon corps microcosmique se disloque et s'enrichit  : chaque élément se transforme en un signe représentant un élément du Macrocosme. Par ces métamorphoses en signe, je deviens un réseau coextensif à l’ensemble du monde.

L'interprétation de la matrice d'énergies symboliques de la culture chinoise

Regardons de nouveau ces deux images dites naturalistes proposées par Philippe Descola. En quoi y-t-il une figuration d’un esprit intérieur? Notre esprit apparaît comme le produit d’une empreinte faite par une image du monde alentour. Le livre, la salle de lecture, le paysage font image pour dicter, fabriquer, la pensée de Sainte Madeleine. Et la condition sociale de noble fait image commune, fait fabrique commune des pensées de cette assemblée d’hommes et de femmes autour du Roi.

Finalement, ce qui caractérise la nouveauté de l’image Occidentale est qu’elle ne nous parle pas sur le mode de la confrontation ou du dialogue. Elle nie l’apprentissage de la différence. Elle se présente à nous sous la forme d’un ordre : « Moi, image, voila comment je te fabrique ! ».

L’intériorité du moi n’est pas du tout le principe occidental que présuppose P. Descola. C’est plutôt le résultat d’une lutte contre ce que nos images naturalistes font de nous. Ainsi Descartes conseillait-il d’arrêter par intervalles la lecture d’un livre et de se questionner : « Moi, que penserais-je par moi-même ? ».

Cette qualification de l'image naturaliste comme ordre d'appartenance pose  une équivalence avec la symbolique du Phénix. Au cours de son vol, le Phénix retrouve les esprits perdus et les replace au sein de la communauté. D'ailleurs, le Phénix représente la richesse de la Nature à condition que les hommes et les femmes se rassemblent et s'organisent dans les travaux agricoles.

En contre point d'un Phénix qui ordonne à chacun sa place, le Dragon apparait à l'inverse comme absent. Les contes le décrivent comme un animal caché au fond du flux de la rivière, qu'il faut persuader de sortir de sa torpeur. Les contes disent : le Dragon régule le flux des eaux et des pluies. Il symbolise la Loi, dans sa présence mais aussi dans son absence. Alors que le Phénix fait apparaître la société comme évidente, le Dragon la figure comme problématique. Il faut que les hommes interviennent pour que le Dragon apporte la Loi.

La danse du Dragon le montre bien : le Dragon ne vit que si les hommes le portent et le font danser. En faisant tourbillonner la ligne du Dragon, les humains invoquent le retour de la Loi qui régule les eaux - et également les passions des puissants. La symbolique du Dragon, ligne et tourbillon, que les hommes doivent incarner chaque année, en fait un animal "Totem".

Bien sûr, le symbole du Bouddha comme esprit de "nourriture de sagesse et d'amour" l'apparente à l'animisme. Mais le symbole du Bouddha n'est pas tout le bouddhisme.

En effet, une autre dimension du bouddhisme consiste dans le développement des analogies entre le Microcosme et le Macrocosme afin de révéler les sagesses fondamentales.

Ce qui apparait avec ces rapprochements est un système d'équilibre.
la Matrice sémiotique de la culture chinoise selon Francis Raphaël Jacq.


Pour une réflexion plus approfondie :
• Le catalogue de l’exposition, La fabrique des images, sous la direction de Philippe Descola, coédité par Somogy.
• Hors-série n°437 de "Connaissance des Arts", consacré à l’exposition "La fabrique des images".
• Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 2005.
• La leçon inaugurale au Collège de France, pour la Chaire d’anthropologie de la nature, jeudi 29 mars 2001 : www.college-de-france.fr

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