jeudi 31 mars 2011

“Jishin M9 Tokyo”Retour en France du scénariste de BD Jean-David Morvan

www.telerama.fr/Jean-David Morvan
Jean-David Morvan, français, scénariste et éditeur de BD vit à Tokyo la moitié de l’année. Il s’y trouvait lors du “Jishin M9 Tokyo” le “tremblement de terre de magnitude 9 à Tokyo”. Les sensations, les premiers gestes, la panique… Il raconte.


Tous, on savait qu’il allait arriver. Un jour, une nuit, un été, un hiver. Dans une seconde, une heure, un jour, ou plus. Beaucoup plus, si possible. Au moindre tremblement sensible, les gaijin (étrangers) – comme moi – ressentaient de la surprise, par manque d’habitude. Et les Japonais, de l’angoisse. Car s’ils vivent avec la connaissance de ce risque depuis toujours, ils redoutent qu’un petit tremblement ne dégénère en un plus gros. LE plus gros. L’hypothèse était la faille du Sud de Tokyo, la réalité fut celle du Nord, au large de la région du Tohoku.

Je m’appelle Jean-David Morvan, je suis scénariste de BD. J’ai publié quelque 180 albums, avec des auteurs et des éditeurs du monde entier. Certains sont dessinés par des Japonais, comme Jirô Taniguchi pour Mon année, ou Toru Terada pour Le Petit Monde, et d'autres se passent au Japon, comme Sept Yakuzas (avec Takahashi Hikaru) et Spirou à Tokyo (avec Jose-Luis Munuera). Je vis dans cette ville six mois par an depuis que j’occupe un poste éditorial chez Ankama, qui a une filiale au Japon.

Je loge à 15 minutes de train de Shinjuku, à l'Ouest, dans le quartier des studios et du musée Ghibli d’Hayao Miyazaki. C'est dans ce quartier que la majorité des Japonais rêve de vivre. The « place to be » de la contre-culture des années 70, devenu un petit paradis sur terre, avec un beau parc, des restaurants et bars, des grands magasins. J’étais dans l’un de ceux-là quand ça a commencé de trembler doucement. J'ai d'abord pensé qu'un vendeur passait derrière moi avec un chariot rempli de télés. Et puis comme ça continuait, je me suis dit que c'en était un « petit », comme j'en avais senti chez moi deux jours auparavant. Sauf que ça continuait… ça enflait.

Les luminaires au plafond se secouèrent de gauche à droite avec une amplitude incroyable. Je suis sorti dans la rue, au centre du carrefour, pour éviter de prendre un morceau d'immeuble sur le coin de la gueule. Je n'étais pas le premier à atterrir sur la chaussée, ni le dernier. Autour de nous, tout tremblait… Le métro aérien, à 500 mètres à gauche, s'était stoppé dans son élan, au milieu du quai. J'ai lu plus tard que la secousse avait duré plus de deux minutes, j'aurais été incapable de le dire, tout en l'ayant vécu. Nous étions suspendus psychiquement, dommage que ce ne fut pas le cas physiquement. Puis le monde stable est revenu. Les usagers ont sorti leurs téléphones portables, tentant d'appeler leurs proches, pour les rassurer ou prendre des nouvelles.

Mais rien. Plus de réseau. Seul Internet fonctionnait un peu, ce qui m'a permis d'écrire immédiatement un message sur Facebook et de rassurer mes parents. Le temps d'envoyer le message, la terre se remit à trembler. Moins fort, mais assez pour faire monter l'angoisse. Elle n'allait pas redescendre de sitôt : les jours suivants, les vibrations allaient se succéder à un rythme quasi constant. Devant leur abondance, même la télévision, qui annonce toujours les secousses par un son d'alerte et un message sur l'écran, arrêta de le faire. Sans quoi, il aurait été impossible aux présentateurs de parler.

Je décidai de rejoindre le salon de thé d'un ami, à dix minutes à pied de là. Ensemble, nous avons regardé les premières vidéos, ahurissantes, de la catastrophe : la vague noire, des bateaux s'écrasant sur les ponts où passaient les voitures… Seules les secousses incessantes nous rappelaient à la réalité. Dans mon appartement, les dégâts n’étaient pas aussi importants que je l’imaginais. Certaines étagères pourtant lestées de livres avaient bougé de plus d'un mètre, et quelques jouets ainsi que le flash de mon appareil photo avaient été cassés. En comparaison des images de plus en plus précises qui passaient sur ma télévision, montrant en boucle le tsunami de la journée et la ville de Sendai en feu, je m'estimais TRÈS heureux. Ce que je vivais à Tokyo n'était rien en comparaison du Tohoku. Je n'avais, moi, pas vraiment besoin du courage que tout le monde me demandait d'avoir. Il fallait juste gérer un stress usant dû aux tremblements. Et faire le grand écart entre les informations japonaises « rassurantes », et celles « catastrophistes » du reste du monde.

J'ai préparé un sac avec mes affaires de première nécessité (mon ordinateur portable et un disque dur, des vêtements, une bouteille d’eau…) et ai dormi tout habillé sur mon lit, près de la porte de secours, avec mes chaussures au pied du sommier. Le lendemain, les rues étaient d'un calme étrange. Une ville à l'âme de fantôme, un temps constant, des regards fuyants. Et puis une nouvelle soudaine : l'explosion de l'enceinte d'un des réacteurs nucléaires de Fukushima. Soudain, donc, des emplettes à faire. Stock d'eau, de nouilles instantanées, de conserves. Et, surtout, penser à laisser toujours la baignoire remplie d'eau claire, si jamais celle du robinet finit par être contaminée. C'est ce jour aussi que les messages de l'ambassade de France, à féliciter pour son formidable travail, ont commencé à apparaître sur mon téléphone. Expliquant par exemple comment se calfeutrer chez soi en cas de nuage radioactif. Oui mais… Peut-on rester chez soi en cas de nouveau gros tremblement de terre ? Non, il faut sortir. Et dehors, l'ennemi invisible vous attend…

Je décidai alors de partir pour le Sud. Mais pas un seul véhicule à louer dans Tokyo, et plus de carburant dans les pompes… C'est donc avec mes chaussures que je me rendis à la gare pour acheter un billet de train pour Kyoto, départ le lendemain tôt. Je passai la nuit à imprimer des photos pour monter un dossier en vue d'une exposition à New York, et mangeai des fraises – oui, c'est la saison au Japon. Un petit réconfort, certes, mais TOUT était bon à prendre, cette nuit-là. Une idée vint : réaliser un blog, en demandant à des amis illustrateurs et bédéistes (Sylvain Runberg, Kness et Made du forum graphique CaféSalé pour commencer) de faire des dessins de soutien aux victimes. En espérant pourvoir ensuite regrouper tout cela dans un livre dont les bénéfices seraient reversés à une ONG. C’est ainsi qu’est né le projet Tsunami, lors des tremblements incessants.

Le lendemain, à la gare, je me rendis compte que j’avais oublié mon sac à dos – qui ne me quittait pas depuis deux jours, et contenait mon portable – dans le métro. Je rentrai chez moi récupérer mon ordinateur de salon puis retournai prendre le train. A peine parti, un sms d'une amie : une nouvelle enceinte de centrale nucléaire vient d'exploser. Filant à 300 kmh sur les rails, je passai mon temps à appeler des amis. Certains avaient décidé de partir vers le Sud, comme moi. D'autres, pour des raisons tout aussi respectables, restaient à Tokyo. A peine le pied posé à Kyoto, je sentis que le sol tremblait ici aussi. Pas autant qu'à Tokyo bien sûr, mais assez pour mettre la puce à une oreille interne habituée à détecter la moindre secousse.

Sur place, les gens semblaient mener une vie « classique » du Kyoto de toujours. Que faire ? Se laisser aller à faire un peu de tourisme. Entrer dans le flot de l'insouciance, relâcher un peu la pression, pour ne pas exploser totalement. Mais replonger dans les infos non-stop dès le retour à la chambre d'hôtel. Entre deux, discuter avec des amis, qui se demandent comme moi s'ils restent ou partent. Evoquer le « problème » de leurs épouses japonaises, qui ont toutes vécu à l'étranger, mais ne veulent pas quitter leurs parents et bloquent leurs enfants sur place. Il n'y a cependant pas lieu de juger les décisions. Qui est le plus lâche ? Celui qui part, ou celui qui n'ose pas briser ses habitudes ? Ce n'est plus qu'une question de choix personnel. De la culpabilité pour ceux qui partent ? Mais en quoi pourrait-t-on aider ? Nul n'est capable d'arrêter secousses, vagues et radiations. Alors, si c'est pour devenir une personne de plus à sauver et nourrir en cas de nouveau problème...

Je me décide, mardi 15 mars, après un nouveau problème de centrale et un séisme de magnitude 6 à Shizuoka, entre Tokyo et Kyoto. Il me faut trouver sur un billet pour la France ou n'importe où en Europe. Mais pas de places disponibles à moins de 3 200 € l’aller simple. Après un mini-scandale médiatique, les prix descendent. Le lendemain, pas de problème majeur sur le trajet. Juste une surprise : il neigeait malgré le soleil. Mais finalement, depuis une semaine, tout était fou autour de moi ; j'en avais fait mon quotidien. Enregistrement, douane, vol, escale, vol, bagages, douane. Je suis en France. Est-ce chez moi ? Je ne sais plus bien, je n'ai pas le temps d'y penser. Il faut faire avancer le blog de soutien. Au vu de l'importance des dégâts, la somme rapportée sera de toute façon symbolique. Mais c'est justement ce symbole qui compte : aider en faisant ce que l’on sait faire, pour favoriser l’après.
Reims, le 28/03/2011

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