lundi 28 mars 2011

Pourquoi y a-t-il si peu de pillage au Japon?

 Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :

Christopher Beam est journaliste politique à Slate.com. Vous pouvez lui écrire à l'adresse suivante jcbeam @ gmail.com

Au milieu du chaos, comment se fait-il que les Japonais ne se mettent pas à dévaliser les commerces? C’est le fonctionnement de la société nippone qui l’explique.

- Dans un supermarché de Tokyo le 16 mars 2011. REUTERS/Issei Kato -


Si votre appartement avait été secoué par un séisme de magnitude 9, frappé par un tsunami et imprégné de particules radioactives provenant d’une centrale nucléaire, vous auriez le droit de péter les plombs. Pourtant, les sinistrés japonais sont d’un calme à toute épreuve. Ils font la queue devant les supermarchés. La vie est «particulièrement bien organisée», rapporte la chaîne PBS. «La discipline japonaise s’impose malgré le désastre», résume un chroniqueur du Philippine Star.

Chacun connaît les stéréotypes (qui se vérifient souvent) sur les Nippons: ils sont d’une honnêteté et d’une discipline extraordinaires. C’est une société «collective», qui fait primer le groupe sur l’individu! Évidemment qu’ils ne vont pas se mettre à voler dans les magasins après la catastrophe naturelle la plus dévastatrice de leur vie, contrairement  à certains habitants de la Nouvelle-Orléans, en 2005, après l’ouragan Katrina, ou à des Haïtiens à la suite du séisme qui a frappé l’île en 2010. Bien qu’affamés, les Japonais s’astreignent à respecter les files d’attente qui grossissent devant les magasins d’alimentation.

Selon Mark D. West, professeur à la faculté de droit de l’Université du Michigan, ces explications culturelles sont insuffisantes, car elles forment un cercle: «Pourquoi les Japonais ne se livrent pas au pillage? Parce que ce n’est pas dans leur culture. Comment cette culture est-elle définie? On ne pille pas.» Il existe des explications sans doute plus convaincantes, de nature structurelle: un solide système de lois qui incite à l’honnêteté, une forte présence policière et, paradoxalement, des organisations de crime organisé très actives dans le maintien de l’ordre.

Une honnêteté motivée
Si les Japonais sont l’un des peuples les plus honnêtes, c’est peut-être parce que la structure juridique du pays récompense cette honnêteté plus qu’ailleurs. Dans une étude réalisée en 2003 sur la célèbre politique du gouvernement japonais visant à récupérer les objets perdus, Mark D. West explique que les taux élevés de récupération sont moins liés à l’altruisme qu’à la politique de la carotte et du bâton, qui encourage les gens à ramener les objets trouvés au lieu de les garder pour eux. Par exemple, si vous tombez sur un parapluie égaré et que vous le rapportez à la police, vous percevrez 5 à 20% de sa valeur si son propriétaire vient le récupérer. Si personne ne se manifeste au bout de six mois, le parapluie sera à vous, si vous le souhaitez.

Dès le plus jeune âge, les Japonais apprennent à fonctionner avec ce système. Aussi, lorsqu’un enfant se rend pour la première fois au commissariat de son quartier pour rapporter une pièce de monnaie –pour donner un exemple–, c’est un véritable rite d’initiation pris très au sérieux par le gamin et les policiers. En même temps, les mesures de la police face aux petits délits, comme les larcins, sont très strictes, un peu à l’image de la politique de la vitre brisée mise en place à New York dans les années 1990. Si vous ne rendez pas un portefeuille que vous avez trouvé, vous risquez, dans le meilleur des cas, de subir plusieurs heures d’interrogatoire, dans le pire, de passer 10 ans au trou.

Présence policière
Fortes de 300.000 agents, les forces policières japonaises sont visibles et très actives dans tout le pays. Les gardiens de la paix arpentent leur secteur et discutent avec les habitants et les commerçants. Ils assurent des permanences dans les très nombreux kobans, ces cabines ou petits locaux occupés par un ou deux agents. Dans certaines villes, ces mini-postes de police sont parfois séparés d’une ou de deux centaines de mètres. En 1992, une enquête a révélé que 95% des Japonais savaient situer le koban le plus proche de chez eux; 14% connaissaient même le nom d’un agent qui y était affecté.
Au Japon, les policiers sont bien payés, si bien que de nombreux jeunes diplômés sont attirés par la profession. Par ailleurs, ils bénéficient de logements sociaux très intéressants. Les forces de l’ordre sont proches de la population et cultivent cette proximité: la police métropolitaine de Tokyo a même une mascotte, Pipo-Kun (dont le nom signifie «peuple + police»). En outre, la police nippone est compétente: en 2010, le taux de résolution des meurtres a atteint 98,2%!, rapporte Mark D. West (un chiffre si incroyable que certains soupçonnent que certains meurtres n’ont pas été pris en compte).

Crime organisé
Depuis que le séisme a fait trembler le nord-est du Japon, les policiers ne sont pas les seuls à surveiller le pays. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les yakuzas aussi maintiennent l’ordre. Les trois principales organisations criminelles du pays –les Yamaguchi-gumi, les Sumiyoshi-kai et les Inagawa-kai– «ont formé des escouades chargées de patrouiller les rues de leurs territoires et de s’assurer qu’aucun pillage ou vol n’ait lieu», écrit dans un e-mail le reporter Jake Adelstein, auteur de Tokyo Vice: An American Reporter on the Police Beat in Japan [il a accompagné des policiers japonais sur le terrain]. «Les Sumiyoshi-kai disent avoir acheminé plus de 40 tonnes d’[aide humanitaire] dans le monde entier, et je crois que qu’il s’agit d’une sous-estimation.» Un de ces groupes a même ouvert ses bureaux à Tokyo pour accueillir les Japonais et étrangers qui se sont retrouvés bloqués après l’interruption des services de transport en commun, à la suite des premières secousses.
«Comme me l’a expliqué par téléphone un chef des Sumiyoshi-kai, raconte Jake Adelstein, en temps de crise, il n’y a pas de yakuzas, de civils ou d’étrangers. Il n’y a que des hommes et des femmes, et nous nous devons d’être solidaires.»
Même en temps normal, les yakuzas font respecter l’ordre. Ils pratiquent l’extorsion de fonds, gèrent des réseaux de prostitution et de narcotrafiquants, mais ne tolèrent pas le vol.
A l’évidence, la culture japonaise de l’entraide explique dans une certaine mesure le calme avec lequel les Nippons réagissent à la double catastrophe dont ils ont été les victimes. Mais il convient de souligner le rôle joué par les systèmes et les institutions qui encadrent la société japonaise.
Jake Adelstein cite un vieil adage japonais qui aide à mieux comprendre cet état d’esprit solidaire:
«Votre gentillesse finira toujours par être récompensée. La charité est un bon investissement.»
Toute médaille ayant son revers, ceux qui ne sont pas gentils seront punis.
Christopher Beam

Traduit par Micha Cziffra

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