mercredi 23 mars 2011

Japon : quelles réponses au défi ?


Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :

e l'envoyé spécial de l'Express Marc Epstein publié le 23/03/2011


D'une hauteur aujourd'hui estimée par les scientifiques japonais à 23 mètres,le tsunami a submergé plus de 400 kilomètres carrés de côtes.

Reuters/Aly Song
Un séisme, un tsunami, une crise nucléaire: l'archipel se trouve confronté à une tragédie dont il sortira transformé. Malgré une démographie déclinante et une élite politique défaillante, ses habitants sauront-ils puiser en eux la force d'une renaissance?


La vue était belle des fenêtres de l'hospice Sea Side, ouvert il y a sept ans et financé par l'Assistance publique japonaise. En tout, 97 pensionnaires, aux moyens souvent limités, terminaient leurs jours dans cette résidence médicalisée bâtie un peu à l'écart de Yamada, sur la côte nord-est de l'archipel. De leurs chambres, ils pouvaient admirer l'océan et une jolie baie, bordée de pins. Une digue haute de 6 mètres devait les prémunir contre le danger, au cas où un tsunami se produirait dans cette partie relativement abritée de la côte. La baie elle-même devait assurer la meilleure des protections. Afin de ne prendre aucun risque, on avait construit le bâtiment en retrait de la rive, à 20 mètres environ au-dessus du niveau de la mer.

Le 11 mars, cependant, l'impensable s'est produit. Encore sous le choc, une employée des lieux raconte: "Vers 14 h 50, le tremblement de terre a été d'une telle intensité que nous avons tout de suite pensé, en entendant sonner l'alerte au tsunami, quelques minutes plus tard, que la vague serait grosse." Mais il n'y avait en principe rien à craindre.


Japon, le terrible défi

Quand une première vague surgit, elle est très importante, certes, mais loin en dessous de la résidence. Puis, soudain, la mer enfle; l'eau monte, et monte encore, sans doute sous l'effet des courants puissants dans cette partie de la côte, proche d'une péninsule. "Tout s'est passé très vite, reprend la jeune femme. Nous avons installé à la hâte les personnes âgées les plus valides dans des chaises roulantes. Et on a couru, en les poussant, le long d'un chemin de terre, sur le flanc de cette montagne, là, juste à côté."
L'impossible bilan


Le séisme et le tsunami ont fait 9.079 morts et 12.645 disparus, selon un bilan provisoire diffusé le 22 mars, soit dix jours après la catastrophe. Les chiffres augmentent sans cesse, car de nombreux cadavres restent à dégager des décombres, tandis que d'autres ont été happés par les flots : une semaine après qu'une vague déferlante a rasé sa ville, le corps du maire d'Otsuchi a été retrouvé sur une plage située à 200 kilomètres de sa localité.

Son récit s'arrête là, car elle ne peut plus parler. Mais il suffit de regarder l'hospice pour comprendre. Emportés par le courant, des bateaux et des voitures entières ont défoncé les fenêtres, d'abord au rez-de-chaussée, puis au premier étage. L'eau s'est engouffrée partout. Les patients couchés, trop faibles pour se lever, l'ont sans doute vue monter, avant que le courant les emporte à leur tour.

Un bateau encastré dans la salle d'auscultation

Aujourd'hui, les noms des anciens pensionnaires restent inscrits au mur à l'emplacement où, il y a encore quelques jours, se trouvait leur lit. Des algues recouvrent les tables de chevet. Un bateau s'est encastré dans l'ancienne salle d'auscultation, où des rideaux flottent au vent. Une chaise roulante est accrochée à l'amas de tôle qui entoure désormais la porte d'entrée. Le toit, même, est couvert de quatre ou cinq voitures.
Pêcheur miraculé

Sugeru Suzuki est un jeune retraité au regard qui pétille. Il était parti seul en mer, le 11 mars, quand il a senti aux vibrations de son bateau qu'un tremblement de terre venait de se produire. En bon pêcheur, il savait qu'un tsunami risquait de se former ; afin de ne pas mourir écrasé sous la vague, qui enfle toujours à l'approche des côtes, il devait au contraire fuir vers la haute mer. Son sang-froid lui a sauvé la vie : "J'ai vu arriver une sorte de rivière, en plein milieu de l'océan, qui m'a semblé haute de plusieurs dizaines de mètres. A environ 3 kilomètres de la côte, le bateau s'est lentement soulevé, puis il est redescendu, avant de se redresser, et ainsi de suite à cinq ou six reprises."

Quatre heures plus tard, dans son village de Honsho, largement détruit par le tsunami, Sugeru a été accueilli en héros. L'un de ses amis pêcheurs, qui se trouvait aussi en mer, n'a pas eu sa chance ; son cadavre est resté accroché dans un arbre, à 10 ou 15 mètres de hauteur, plusieurs jours durant. Les habitants ne parvenaient pas à le descendre.

M. E.

Les employées de l'hospice reviennent chaque jour sur les lieux, sans bouger, toujours sidérées par le spectacle de cet amas infernal, en ces lieux où leur tâche était d'apporter du réconfort et une douceur bienveillante. Elles regardent, sans parler. Et tentent, sans doute, de se réveiller du cauchemar qu'elles ne parviennent toujours pas à assimiler à un épisode réel de leurs propres vies. "Sur 97 pensionnaires, dit l'une d'elles, d'une voix à peine audible, seuls 22 ont été sauvés." Tous les autres ont été emportés par la mer.

Le Japon a traversé de nombreuses épreuves, ces dernières années. Mais rien ne pouvait le préparer au séisme de magnitude 9 sur l'échelle de Richter qui, le 11 mars, a rayé de la carte d'innombrables villes côtières dans le nord-est du Honshu, île principale de l'archipel. En dégageant une énergie équivalente à 30 000 fois Hiroshima, le tremblement de terre a provoqué un tsunami d'une ampleur monstrueuse.

Estimé à au moins 20 000, le nombre des morts et des disparus ne cesse de croître (voir ci-dessus) tandis qu'un demi-million de sans-abri sont logés à titre temporaire dans des centres d'accueil, où beaucoup grelottent sous l'effet d'une vague de froid.

Dix jours après la catastrophe, en effet, l'électricité commençait tout juste à être restaurée. Le rationnement de l'essence et la pénurie des denrées alimentaires ajoutaient à l'atmosphère de crise: "Il nous reste assez de nourriture pour tenir encore trois jours", confie Madoka Takami, une jeune femme d'Ofunato, ville entièrement détruite, ou presque. "Et encore, ajoute-t-elle, on fait attention à ne pas trop consommer." Dans les magasins, les étagères sont vides.

Accourus de tout le pays mais aussi de l'étranger, les services d'urgence sont débordés. Surtout, ils oeuvrent dans l'ombre d'une troisième catastrophe, dont les effets risquent d'être plus durables. Et planétaires, peut-être.

Hors de contrôle

Car la centrale nucléaire de Fukushima restait hors de contrôle en début de semaine. Des taux de radioactivité, faibles mais inhabituels, ont été relevés en plusieurs endroits ainsi que dans la chaîne alimentaire. Surtout, dans la région de Tokyo (35 millions d'habitants), des traces d'éléments radioactifs ont été décelées dans l'eau du robinet. Des éléments radioactifs ont aussi été détectés, le 20 mars, à Taïwan, sur des fèves importées de l'archipel. Une psychose s'est emparée de nombreux étrangers, en particulier, qui ont quitté le pays en nombre, souvent avec l'aide de leurs ambassades respectives ou de leurs employeurs.

Les Japonais de Tokyo ont semblé plus sereins, mais cela pourrait ne pas durer: "Nous connaissons la menace des séismes et des tsunamis, rappelle Simiho Takahashi, directeur d'une école primaire transformée en centre d'accueil pour les réfugiés. L'atome, c'est un phénomène différent, produit par l'homme : on ne le voit pas, on ne sait pas ce que c'est, au fond, et la contamination peut durer longtemps."
Japon, le terrible défi

Malgré la neige, ce couple de personnes âgées apporte des vivres à des parents touchés par le tsunami à Minamisanriku.

REUTERS/Kyodo

Répercussions mondiales

A la télévision, les porte-parole du gouvernement et les représentants de la compagnie exploitante de la centrale multiplient, depuis le début de la crise, les interventions rassurantes, au risque d'être démentis par les faits, parfois dans les heures qui suivent. "Les niveaux actuels de contamination ne présentent aucun risque pour la santé", affirmait, le 20 mars, un membre du cabinet du Premier ministre. Comment ne pas le croire?... Si la situation devait se dégrader, nul doute que les répercussions seraient mondiales. Déjà, l'Allemagne a annoncé la fermeture des sept réacteurs nucléaires les plus anciens du pays, la Chine a suspendu le lancement de nouvelles centrales et la Thaïlande envisage d'en faire autant.

Des ruptures historiques qui ouvrent d'autres ères

Le séisme, le tsunami et la crise nucléaire transformeront le Japon. Mais comment? Le pays a souvent semblé renforcé par l'adversité. A Tokyo, le tremblement de terre, en 1923 (entre 100 000 et 130 000 morts), et celui de Kobe, en 1995, apparaissent a posteriori comme des ruptures historiques qui ont ouvert d'autres ères. Même les destructions massives de la Seconde Guerre mondiale ont précédé quatre décennies de croissance et d'innovation extraordinaires.
A la grâce des dieux

Les prêtres shintoïstes du sanctuaire Kasuga Taisha, à Nara, l'une des anciennes capitales du Japon, située dans le centre du pays, se sont attaqués à une tâche ardue : réciter 10 000 fois la prière de purification et implorer les kami (divinités) afin qu'elles aident l'archipel à se reconstruire. L'affaire est d'importance même si, pour beaucoup de Nippons, la catastrophe du Tohoku (région du nord-est) est d'une telle ampleur qu'elle n'a plus rien à voir avec le divin.

La preuve, le gouverneur de Tokyo, Shintaro Ishihara, a dû s'excuser après avoir évoqué le 14 mars une colère des dieux pour expliquer la tragédie. Est-ce à dire que le religieux n'a pas sa place pour soigner les âmes nipponnes meurtries ? Sans doute pas. Comme après le séisme de Kobe de 1995, les organisations religieuses shintoïstes, bouddhistes et chrétiennes auront un rôle à jouer. Mais il n'est pas dans les habitudes japonaises de solliciter un soutien spirituel auprès des religieux. Une telle fonction revient plutôt au corps social.

Alors les prêtres pourront multiplier les cérémonies et séances de prière, prévoir de dresser des sanctuaires et des autels dans les zones ravagées, afin de calmer les divinités. Ce ne sera pas de trop. Pour le réconfort, cependant, la communauté humaine restera le plus important.

Demain, cependant, il n'est pas certain que l'archipel soit aussi bien équipé pour se réinventer. A court terme, la baisse de la production d'énergie et la désorganisation des transports affecteront l'économie. Au-delà, le pays souffrira de son leadership politique désespérément inepte et du déclin démographique, amorcé depuis plus de cinq ans, et qui aboutit au vieillissement inexorable de sa population. A moins que la planche de salut ne soit là, précisément.

La génération qui a connu la guerre et les privations, à l'origine du bond économique de l'archipel dans les années 1950-1980, juge avec sévérité le consumérisme aveugle et le gaspillage de ses cadets. On estime qu'en un an, par exemple, le pays jetterait la même quantité de produits alimentaires que celle consommée, pendant ce temps-là, dans l'ensemble du continent africain.

Le secteur du bâtiment, où la pègre reste active, tarde à adopter des normes d'isolation efficaces dans le logement. Même les pêches à la baleine et au thon rouge participent de cette logique: de nombreux Japonais agissent comme si les ressources naturelles étaient illimitées. Les personnes âgées, a contrario, gardent pour habitude de recycler les feuilles de thé, une fois séchées, afin de balayer le sol de leur maison et réparent leurs objets quotidiens avant de les jeter... S'il renoue avec ses propres traditions de frugalité, s'il développe une vraie sensibilité aux thèmes de l'environnement et aux économies d'énergie, le pays, fort de ses laboratoires de recherche et de ses capacités d'innovation, ne manquera pas d'atouts. La première voiture hybride produite en série a été l'œuvre de Toyota.

Le grand sanctuaire d'Ise est le site shintoïste le plus vénéré du Japon. Son culte est étroitement lié à la famille impériale, au point que ses membres, et eux seuls, peuvent y devenir prêtres. Fondé il y a mille cinq cents ans, il appartient aux traditions les plus anciennes du pays. Mais ses bâtiments sont récents. Tous les vingt ans, les structures en cèdre rouge et en chaume sont rituellement détruites, puis reconstruites à l'identique. Le sanctuaire se réinvente lui-même. Comme la Nature. Et le Japon lui-même. Dans l'archipel, la fugacité est une tradition bien établie.

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