lundi 28 mars 2011

Japon : suicide et responsabilité

 Je mène une démarche scientifique sur la culture chinoise.  Il faut donc dégager des "objets" formalisé par un X, symbole utilisé dans différentes fonctions de la la forme F = a X + b.

Pour bien identifier ce qui relève de  X, a et b, il faut envisager X dans différents contextes culturels utilisant les mêmes objets. Il est donc nécessaire, par méthode, de confronter la culture chinoise à la culture japonaise. Par exemple, quelles sont les valeurs différentes utilisées pour le "X = rapport à la nature", "X = pour le rapport à la mort", "

X = pour le rapport à l'autorité" ?

Il se trouve qu' une opportunité tragique (le tsunami, la catastrophe nucléaire) a suscité beaucoup de contributions sur la culture japonaise. Nous collectons ici ces différentes contributions en vue d'une analyse ultérieure.

Voici une de ces contributions :

Extrait de slate.fr 25 mars 2011   Humeur de David Doucet
Les dirigeants de Tepco se feront-ils seppuku?
L’échec n’est pas accepté par la société japonaise. Traditionnellement lorsqu’ils échouent, les Japonais n’hésitent pas à démissionner, voire, plus rarement, à se suicider.
- Un samouraï se faisant "seppuku" par Kunikazu Utagawa via Wikimedia Commons -

SLATE CONSEILLE
Pourquoi y a-t-il si peu de pillage au Japon?
L’accident du parc nucléaire de Fukushima représente sans nul doute la seconde plus grande catastrophe de l’histoire japonaise après Hiroshima. Aux yeux des Japonais et du monde, les dirigeants de Tepco (Tokyo Electric Power) sont les principaux responsables du désastre.
Pourtant le PDG, Masataka Shimizu, a disparu de la sphère publique depuis le dimanche 13 mars, date de sa dernière conférence publique. Depuis ce jour où il s’est confondu en excuses, le patron de Tepco s’est totalement éclipsé des réunions publiques, laissant à son porte-parole le soin de représenter l’entreprise. Le 18 mars, le directeur général de Tepco Akio Komiri a bien fait une apparition en conférence de presse afin d’informer les journalistes, mais il a quitté la salle en larmes, dépassé par l’ampleur de la catastrophe. Il aura fallu attendre le 22 mars pour qu'un dirigeant de Tepco aille présenter ses excuses aux riverains de la centrale de Fukushima-Daiichi.

Une éthique de la responsabilité

Cette attitude tranche avec les coutumes nippones. La population japonaise étant habituée à ce que les dirigeants politiques ou économiques fassent front devant l’adversité. «Traditionnellement, lorsqu’un échec est constaté, il est pleinement assumé, les Japonais cherchent rarement à fuir leurs responsabilités», constate Guillaume Carré, directeur du Centre de recherches Japon à l’EHESS. 
«Les démissions sont beaucoup plus fréquentes qu’en Europe et donnent souvent lieu à des séquences d’excuses publiques. Lorsqu’un homme public japonais est mis en cause, il démissionne. Lorsqu’ils sont condamnés par la justice, ils font rarement appel.»
En cinq ans, le Japon a connu autant de Premiers ministres. Face à une crise de confiance, les hommes politiques japonais n’attendent pas la fin de leur mandat pour présenter leur démission. Dernier exemple en date? Le départ du ministre des Affaires étrangères, Seiji Maehara, cinq jours avant le séisme, pour une histoire de corruption.
Souvent, les démissionnaires ne font qu’anticiper la sanction qui les attend. «Lorsque vous allez en prison, vous ne vous êtes pas acquittés de votre dette à l’égard de la société, on considère que vous n’êtes plus digne de confiance. La pression sociale est plus lourde qu’en Occident», observe Guillaume Carré, qui souligne également que la presse nippone peut-être plus virulente qu’en France.
Selon lui, cette culture de la responsabilité est un héritage du néo-confucianisme qui plaçait son idéal dans la responsabilité individuelle et le respect de l’autorité. Institutionnalisé au XIXe siècle comme socle de l’éducation, cette éthique guerrière a été généralisée pour modeler l’âme japonaise et renforcer la cohésion nationale. 
A la lueur des critiques actuelles à l’encontre de Tepco, une «décennie de négligences et d’opacité» remonte progressivement à la surface. En 2002, les Japonais avaient appris que durant les années 1980 et 1990, le producteur d’électricité nippon avait falsifié une trentaine de rapports d’inspection relevant des fissures ou de la corrosion sur les enceintes de confinement des réacteurs. En 2007, de nouveaux rapports falsifiés ont été découverts par l'Agence de sûreté industrielle et nucléaire, augmentant davantage le poids de la suspicion.
En 2002 face au scandale, la direction de Tepco avait plié sous le poids de la tradition et été contrainte à la démission.
«L’éthique de responsabilité des Japonais a des conséquences moins radicales que par le passé. Les démissions sont fréquentes mais les suicides sont plus rares. Ça peut arriver pour des hommes politiques locaux comme Nakajima Yôjirô en 2001 mais ce n’est pas fréquent.»

Une culture de la mort volontaire

Si le sacrifice de soi demeure une manière honorable de se faire pardonner pour une partie de la population, «vous aurez dû mal à trouver un responsable qui se fera Seppuku devant tout le monde pour assumer la responsabilité de cette catastrophe nucléaire», estime Guillaume Carré.
Les suicides de personnalités publiques ont tendance à se raréfier. Le dernier remonte à plus de quatre ans: le ministre de l’Agriculture, Toshikatsu Matsuoka, accusé de corruption, s’était pendu avant une séance de questions au Parlement.
Pour autant, le suicide est un véritable fléau au Japon. Chaque année depuis plus de treize ans, le nombre de suicidés dépasse les 30.000. Soit un suicide toutes les quinze minutes. «26 suicides pour 100.000 habitants pointait The Guardian, un taux sensiblement plus élevé que n’importe autre pays de l’OCDE puisqu’à titre de comparaison le taux du Royaume-Uni est d’environ neuf pour 100.000, et le taux des Etats-Unis autour de 11.»
Parmi ces suicides, le «Sekinin jisatsu» —«suicide de responsabilité», nom que la société japonaise a attribué à ses suicides motivés par une humiliation sociale— représente un quart des suicides, selon l’Agence nationale de police japonaise en 2004.
L'écrivain Maurice Pinguet expliquait dans son livre sur La mort volontaire au Japon, daté de 1984,  que les Japonais s’identifient tellement étroitement à la fonction qu’ils occupent que lorsqu’ils sentent leur «personnage social» menacé, ils cherchent à assumer «emphatiquement leur responsabilité», quitte à emprunter pour cela la voie du suicide…
Dans son essai sur La culture psychologique des Japonais daté de 1973, un professeur d’anthropologie à Berkeley, George De Vos, relevait de nombreux cas de suicides de «supérieurs qui bien que totalement ignorant de l’action de leurs subordonnés, en assumaient néanmoins la responsabilité en s’engageant dans un suicide ritualisé».
Dans un ouvrage de 1986, Suicide and economic success in modern Japan, le sociologue Mamoru Iga confirmait ce trait du psychisme japonais en affirmant que lorsqu’ils se «sentent étouffés par la difficulté, les Japonais ont non seulement une forme d’acceptation vers la mort mais ils sont également susceptibles d’éprouver le besoin de se suicider», comme si cet acte constituait un moyen d’échapper au déshonneur pour les guerriers («bushi»).

L’acte suicidaire reposait alors traditionnellement dans la pratique du «seppuku» (littéralement «coupure au ventre», plus connu en France sous le nom d’«hara-kiri»), c’est-à-dire l’éventrement au niveau de l’abdomen, au moyen d’un sabre court. Selon Guillaume Carré, même si cette coutume n’a concerné qu’une «fraction très minoritaire des Japonais, les guerriers pendant la période d’Edo (1600-1687), puis les officiers de l’armée jusqu’à la défaite de 1945» elle demeure «l’une des plus emblématiques de la civilisation japonaise».

Aujourd’hui à part chez des nostalgiques de la guerre du Pacifique, le suicide par éventration n’est plus pratiqué. Le dernier «seppuku» célèbre fut celui de l’écrivain Yukio Mishima après son coup d'état manqué en 1970, marquant durablement l’opinion publique par son caractère autant poétique qu'anachronique.







5 réactions
Les liquidateurs de Fukushima
Soumis par LJDD, le vendredi 25 mars 2011 à 18h48
En l'état actuel des choses, les liquidateurs de Fuskushima sont de fait en situation de hara kiri.
TEPCO, de toute évidence, a perdu le contrôle de la centrale. En ultime recours il leur faudra recourir à la solution du sarcophage.
Sachant qu'il a fallu 600 000 liquidateurs pour le sarcophage d' un réacteur à Tchernobyl combien il en faudra pour les 4 problématiques de Fukushima ?
Comment et qui sera désigné ?
L'évolution des moeurs et des mentalités permettra t'il ce sacrifice ?
Cela pose beaucoup de questions.
@l'auteur Le mot suicide n'a ..

Le mot suicide n'a pas la même connotation en Occident qu'en Orient et plus précisemment au Japon .
Chez nous , le suicide est en général , un acte accompli par quelqu'un de désespéré de sa vie actuelle .
Dans le vieux Japon , et plus précisemment au temps des Samouraïs ( c'est l'illustration de votre article) , il y avait dans l'acte de supprimer sa vie , une intention religieuse liée au Karma et au fait de briser sa "roue" et de n'avoir pas à " revenir" sur terre ( réincarnation ) pour expier la faute commise dans la précédente existence.
IL nous est difficile à nous Occidentaux de comprendre ce geste que nous traduisons par suicide .
C'est un geste réalisé en toute Conscience.

Réponse de David Doucet
J’ai souhaité me focaliser sur l’aspect contemporain. En l’absence d’interdit religieux formel comme en Occident, c’est vrai que les Japonais ont longtemps perçu le suicide comme une manière honorable d’assumer ses responsabilités. Néanmoins, cet acte reposait davantage sur l’impossibilité du pardon que sur des valeurs héroïques puisque si le chef de guerre vaincu ne s’acquittait pas du «seppuku», ses adversaires s’en prenaient alors à sa famille. Guillaume Carré parle d’un «mode d’exécution de la peine capitale propre à la condition guerrière».

Cette éthique de la responsabilité permettait d’ailleurs des transitions politiques plus faciles d’un régime à l’autre comme au moment de l’ère Meiji avec la disparition des samouraïs ou après la Seconde guerre mondiale avec la disparition de la caste militaire au pouvoir. Après la capitulation, tour à tour le général Anami, l’amiral Ōnishi, le vice-amiral Ugaki se firent «seppuku» afin d’assumer l’entière responsabilité de la défaite. Ministre de la guerre et homme fort du régime, on retrouva près du cadavre d’Anami ce poème confirmant la portée de son geste: «Par ses dieux protégé notre pays natal, lui ne périra pas. Qu’à l’empereur ma mort s’offre pour expier le grand crime commis».
....
 Pour avoir fait quelques années de recherches sur l’histoire de l’Allemagne, je peux vous affirmer que l’on ne peut pas obtenir des résultants intéressants en laissant de coté les travaux réalisés dans le pays étudié.
Guillaume Carré et d’autres historiens français s’appuient sur les recherches réalisées par des chercheurs japonais. Concernant le « seppuku », on pourrait citer la sociologue Eiko Ikegami ou l’historien Hirofumi Yamamoto.
Le problème c’est qu’en France, le seul ouvrage que nous ayons sur le suicide au Japon, celui de Maurice Pinguet, est assez daté (1984).

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